Sugimoto présente à Versailles une série de portraits photographiques exécutés à partir des portraits en cire, et non des personnes elles-mêmes; portraits de portraits, en apparence. Certaines de ces cires sont des moulages, d’autres des sculptures, de visages d’hommes et de femmes ayant eu quelque lien historique avec le palais.
Un abime sépare les photographies de visages sculptés de celles de visages moulés. Autant les premiers sont un bel exercice de style, puisque médiatisé par le talent du sculpteur, autant les seconds possèdent un pouvoir évocateur qui s’apparente à la magie, à une sorte de spiritisme visuel. Il y apparaît non pas une oeuvre, mais un personnage transfiguré par sa propre légende. Ou peut-être avons-nous affaire à la photographie d’une légende rendue visible par un visage. Cette opération est particulièrement troublante dans le cas du Roi-soleil. Nous sommes dans sa demeure, bien que le Petit Trianon ne le fût pas à proprement parler, et il paraît nous dédaigner ; ce profil tiré d’un bas-relief de cire moulé sur son visage en 1705 appartient au registre sémantique du héros. On ne rend pas visite, on rend des honneurs à un héros.
Etrange nous semble par contraste le visage de ce jeune Bonaparte, dont le regard baissé et la mine presque contrite semblent ceux de la douleur, d’un pressentiment que l’on qualifierait volontiers de christique à l’orée de cette rapide destinée qui va du Pont de Lodi à Saint Hélène. On sait que Madame Tussaud, dont le masque sert ici de modèle, connut Bonaparte par Joséphine de Beauharnais ; on peut imaginer plus prosaïquement dans ce visage du Premier Consul toute la souffrance du dépit de celui que n’aima jamais la Beauharnais. On préfèrera y voir l’au-delà préfiguré du dernier des Césars.
Voltaire nous apparaît d’emblée comme un pur cérébral, un homme sans corps. Ce vêtement qu’il porte pourrait être celui d’un mannequin. Il est l’antithèse du passionné Bonaparte : il incarne – si l’on ose dire – la Raison, et dans l’excès de la mesure tous les excès possibles des utopies rationnelles.
Nous avons avec ces portraits de masques un nouvel exemple de ce prodigieux talent qu’a Sugimoto de se tenir au seuil de l’apparition – ou de la disparition de son objet. Lieu incertain et terriblement fragile qui se situe en ce lieu précis où l’homme apparaît derrière sa légende, où la légende s’efface derrière l’homme, où le personnage historique surgit dans notre présent, où l’aura et la vie luttent jusqu’ à se confondre.