Miryam Haddad ou les possibilités d’une mythologie

Jeunes Artistes en Europe – Les Métamorphoses

4 avril – 16 juin 2019

Fondation Cartier pour l’art contemporain

La Fondation Cartier pour l’art contemporain présente vingt-et-un jeunes artistes provenant de seize pays d’Europe dans le cadre d’une exposition intitulée « Jeunes Artistes en Europe – Les Métamorphoses ». La charité suggère de ne pas s’appesantir sur l’accrochage ; à la décharge de ses auteurs, le sous-sol de la Fondation est mieux adapté à l’entreposage d’huile de moteur qu’à des expositions d’art contemporain.  

Comme souvent, le bon côtoie le médiocre, et le subtil l’ingénu. Sans vouloir faire ici une quelconque recension de cette exposition, qui mérite par ailleurs amplement d’être vue, il est important de s’arrêter sur le travail de Miryam Haddad, une artiste originaire de Syrie qui est venue en France en 2012 afin de poursuivre sa formation à l’Ecole des beaux-arts de Paris.  

Ces grandes toiles, peintes à l’huile, s’inscrivent clairement dans l’art de la peinture, au sens le plus classique du terme. Trois toiles sont présentées dans cette exposition, toutes de grand format. Elles s’imposent d’emblée au regard par l’éclat de la couleur autant que par la qualité de la composition.

La forme, le récit, se dissimulent pour ainsi dire derrière la couleur. Au fur et à mesure que l’œil s’accoutume à cette profusion, il discerne les premières formes. Des visages, des corps, des barques, des rochers peut-être. Toute forme entrevue demeure dans un peut-être de l’interprétation car elle n’est jamais explicite. Dans un tableau on croit deviner une mer parsemée de récifs, une statue sur un trône, une palissade, le reflet d’un soleil. Dans un autre, un brasier auprès duquel se tient une femme les bras écartés, au premier plan un cadavre. Dans un troisième une arche traversée d’une sorte de nuage, comme dans une composition du XVIème siècle, une Adoration des Mages du Véronèse…peut-être.

Il faut savoir gré à Miryam Haddad de ces ambivalences extrêmes, et de savoir ainsi nous épargner les insupportables lourdeurs, l’étouffante vulgarité de tout un pan de l’art européen contemporain où les banalités les plus rassies sont exhibées comme s’ils étaient des trésors de la pensée. L’esprit peut vagabonder, supputer, changer de perspective. Sans doute ces toiles suggèrent-elles des drames, des désastres maquillés de couleur, comme le laissent entendre les titres : Vengeance ; La Chute… Mais quelle chute ? Quelle vengeance ? Au rebours de mythologies ou des récits bibliques dont nous connaissons ou croyons connaître presque tous les ressorts, les récits qui nous sont ici proposés n’ont pas de référence explicite. Ce sont des possibilités de mythologies.

Tout l’œuvre de Miryam Haddad n’a pas la rigueur des œuvres présentées à la Fondation Cartier, mais cette artiste fort jeune – elle est née en 1991 – a d’ores et déjà le poids d’une artiste qu’on aurait grand tort de négliger. Elle opère sans doute un retour à un art qui parle aux yeux, et non au seul esprit. L’idée passe ainsi par l’impression reçue, sans être autrement gouvernée par l’artiste. Ce qui ne signifie en rien que l’idée soit absente : mais sa perception dépend de la sensibilité du regardeur autant que de la forme qui lui est proposée. Le concept laissé à lui seul s’expose aisément au risque de la pensée convenue, de la répétition, de l’air du temps. Ce risque ne menace en rien une peinture luxuriante qui n’oublie pas notre incarnation.   

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