[vc_row thb_full_width=”true”][vc_column][vc_single_image image=”3394″ img_size=”full”][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height=”50px”][vc_column_text]

CURRENT EXHIBITION / EXPOSITION ACTUELLE

[/vc_column_text][vc_empty_space height=”36px”][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/4″][vc_empty_space height=”20px”][vc_single_image image=”4955″ img_size=”full” alignment=”center”][vc_empty_space height=”36px”][/vc_column][vc_column width=”3/4″][vc_empty_space][vc_column_text]A l’occasion du salon de la photographie expérimentale Approche qui se tient à Paris du 12 au 14 novembre 2021, la galerie Miranda (lien ci-dessous) présente des œuvres du photographe américain John Chiara (lien ci-dessous), peu ou insuffisamment connu en Europe malgré une éclatante reconnaissance dans son pays d’origine. Les œuvres présentées incluent notamment des pièces de la série de photographies négatives prises lors de sa résidence à Budapest ainsi que les spectaculaires bristlecones datés de 2019. Toutes les œuvres sont uniques.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Dossier de l’exposition” shape=”square” color=”sky” align=”center” i_icon_fontawesome=”fas fa-file-alt” button_block=”true” add_icon=”true” link=”url:https%3A%2F%2Fvisual-worlds.org%2Fwp-content%2Fuploads%2F2021%2F11%2FGALERIE-MIRANDA-Oeuvres-disponibles-JOHN-CHIARA-Angyafold-poussie%CC%80re-d-ange-approches-Nov-2021.pdf|title:Dossier%20de%20l’exposition”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Approche Art Fair Website” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” link=”url:http%3A%2F%2Fapproche.paris%2Ffr%2Fintro”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][/vc_column][vc_column width=”1/4″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/6″][vc_empty_space height=”50px”][/vc_column][vc_column width=”2/3″][vc_empty_space][vc_images_carousel images=”5022,5023,5024,5025,5026,5027,5028,5029,5030,5031,5032,5033,5034,5035,5036,5037,5038,5039,5042,5044,5046,5047″ img_size=”full” speed=”3000″ autoplay=”yes” wrap=”yes” title=”Oeuvres exposées ou disponibles”][vc_empty_space][/vc_column][vc_column width=”1/6″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height=”50px”][vc_column_text]

JOHN CHIARA : MATIERE ET MEMOIRE DANS L’IMAGE PHOTOGRAPHIQUE

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Galerie MirandaApproche Art Fair, Paris, 12 – 14 November 2021

Salon Approche : 40 rue de Richelieu, 75001 Paris

Réserver sur le site (cliquer sur le bouton ci-dessus)[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]Vers la fin des années 1980, le ruissellement permanent des images produites depuis des décennies semblait avoir déjà exploré bien des territoires du possible, et une sorte de dégoût pour l’apprêt, la mise en scène, la manière, avait conduit bien des photographes vers une approche documentaire du réel allant jusqu’à le dépouiller de tous les vestiges de la séduction, cet ennemi éternel de la raison. Voilà que la faculté donnée par le numérique de traiter séparément chaque pixel était soudain venue multiplier les combinaisons possibles, permettant ainsi à la photographie de s’affranchir non seulement des atours du réel, mais du réel lui-même, voire de donner aux mondes imaginaires la texture, l’apparence d’un réel, rejoignant sans presque le savoir l’univers immémorial de la féérie. Cette révolution commence à peine.

Pourtant, l’espace de l’invention est loin de n’avoir son horizon qu’en avant, comme conséquence inéluctable de l’application d’un ensemble de technologies récentes à tous les domaines, dont celui de la photographie. Cet espace s’ouvre aussi derrière nous, pourvu que l’on sache observer le territoire des formes et réapprendre les techniques tombées dans l’oubli plus que dans l’obsolescence. John Chiara est de ces artistes qui ont choisi ce deuxième chemin, en revenant à l’origine même de la photographie.

On résumera son itinéraire en quelques mots. John Chiara est né à San Francisco en 1971, et a étudié la photographie et la peinture à l’université de Salt Lake City. Tout en travaillant dans un laboratoire photo à San Francisco, il construit en 1997 un appareil de 16 x 20″ doté d’une lentille de 600mm ; il utilisera plus tard ce dispositif comme mécanisme de mise au point d’une camera obscura qui n’était autre qu’une pièce dont le mur opposé à la lentille servait à fixer du papier photosensible. Il augmentera par la suite la taille de la chambre photographique à 40 x 50″, puis 50 x 80″. Dans la mesure où il s’agit pour Chiara d’effectuer des prises de vue en extérieur, ces très grandes camera obscura doivent être transportées sur une remorque, et nécessitent un certain travail d’assemblage sur le lieu choisi pour chaque prise de vue. Ce procédé suppose en outre que le photographe pénètre physiquement à l’intérieur de l’appareil afin de pouvoir apposer le papier sur la paroi, effectuer ses réglages dans l’obscurité, puis rouler le papier afin d’éviter son exposition à la lumière avant développement.

Ce procédé d’impression directe de l’image sur papier photosensible n’autorise pas sa reproduction, et nous reporte donc aux techniques qui précèdent l’invention du tirage contact par William Henry Fox Talbot (1800 – 1877), et notamment au procédé d’Hippolyte Bayard (1801 – 1887) qui inventa le procédé d’impression positive par utilisation d’un papier imprégné d’une solution chimique, dont il le résultat fut présenté à Paris en juin 1839 (bien qu’il ait été éclipsé par son concurrent Daguerre, soutenu par Arago et  l’Académie), et au calotype de Fox Talbot dont le brevet fut déposé en 1841. Si Walter Benjamin a pu considérer dans son essai fameux que la reproductibilité de l’œuvre d’art entachait irrémédiablement son aura, peut-on en déduire a contrario que l’absence d’une telle reproductibilité la lui restitue ? En réalité, Benjamin a sans doute apporté une réponse incomplète à une excellente question, car c’est moins la reproductibilité – il existe toujours un tirage vintage – que le caractère mécanique, ou si l’on préfère la relative passivité du photographe par rapport au peintre ou au sculpteur, qui ont pu donner ce sentiment, un sentiment partiellement démenti par l’existence de photographies dites « culte ». En présentant l’objet lui-même, le ready-made, comme une œuvre d’art, Duchamp débordera d’ailleurs la photographie en effaçant l’inventio – catégorie critique dérivée de la rhétorique cicéronienne – et la manière derrière le geste, avant sans doute que la notion même d’art ne devienne bientôt obsolète faute de contenu…

Dans le cas de John Chiara, on peut presque parler d’une chasse au piège, par laquelle le photographe placerait un dispositif compliqué dans un lieu propice où l’image se laisserait prendre ; un piège dont il est difficile de prévoir quelle image exactement il aura capturée, puisque le photographe ne peut la construire ni en observer le rendu probable par un œilleton avant d’actionner l’obturateur. Une image inversée en raison de sa projection directe sur le papier photosensible, comme on le remarque dès qu’une inscription est lisible sur la photo, et une image qui retient une trace de l’intervention de l’artiste, puisque les pliures, la découpe imparfaite du papier, les marques de fixation sur la paroi de l’appareil sont observables sur le rendu final. Chiara parle de son travail comme étant « partie photographie, partie sculpture, partie événement ». Et en effet, le caractère non reproductible de son travail ne tient pas seulement au fait technique de l’impression directe, mais aussi et surtout à une certaine imprévisibilité du résultat obtenu par rapport à l’idée que le photographe a pu s’en faire ; à supposer même que l’objet photographié et son éclairage soient rigoureusement identiques, le résultat de prises successives serait à chaque fois différent. Une place importante est ainsi laissée à l’instinct et au savoir-faire de l’artiste. Il y a donc une préciosité intrinsèque à ces images.

Même si certaines photographies prises en forêt peuvent donner un sentiment de mystère et d’appel à la rêverie, voire appartenir à l’univers du conte, il serait erroné de déceler dans cette approche une forme de pictorialisme revisité, en se référant à la grande tradition théorisée par l’article de l’Anglais Peter Henry Emerson en 1886, Photography, a pictorial art, et qui connaîtra de magnifiques développements aux Etats-Unis avec des artistes tels qu’Alfred Stieglitz ou Edward Steichen. Chiara n’imite jamais la peinture, que ce soit par les motifs, les cadrages ou la manière, mais il donne à celles de ses images d’où toute trace d’humanité est absente une complexité de matière, une richesse de tons, un sfumato, qui effacent le motif derrière ce qui semble relever davantage de l’invention que du réel. Des images telles que For-Site Foundation at Nisenan, Nevada City (2011) ou Simmonds Road at Fort Barry, Marin Headlands (2014) sont typiques de cette approche. Il ne s’agit en rien d’une rêverie à la Werther, mais bien d’un univers déplacé dans le registre de l’imaginaire et donc avec une temporalité sans rapport nécessaire avec le réel.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid grid_id=”vc_gid:1636367479640-72b6ac7b-6217-1″ include=”5067,5069,5073″][vc_empty_space][vc_column_text]Il conviendrait de distinguer dans l’œuvre de Chiara un certain nombre de périodes ou de séries ; sans tenter de systématiser cette taxonomie, concentrons notre attention sur les photos que l’on appellera par commodité les « paysages nature », les « paysages habités », les « paysages urbains », et les « paysages iconiques », le mot de paysage tentant de refléter – faute d’un mot mieux adapté – l’absence de toute présence humaine, de toute situation sociale, et – à l’exception notable des brisltecones – de toute allégorie ou autre forme de trope qui pourrait interjeter entre l’image et son spectateur le détour d’un commentaire socio-politique, d’une émotion ou d’une information. Afin de se trouver dans la seule présence de l’image, sans nécessairement pouvoir y pénétrer, il convient d’éviter un tel détour ; ce qui ne signifie en rien que l’image serait muette : elle est simplement dénuée d’un « auto-commentaire » plus ou moins explicite.

Les « paysages nature » ne sont peut-être que des bouquets d’arbres, ou de simples fragments d’un environnement urbain ; ce qui importe est qu’ils donnent le sentiment d’un paysage inviolé, inaltéré, et donc cohérent avec l’immensité américaine. S’il n’existe pas de mythologie de la forêt aux Etats-Unis, ce pays si neuf, ou plutôt si les Etats-Unis n’ont pas hérité des mythologies des populations qui l’occupaient avant le peuplement européen, l’immensité de l’espace est indissociable de l’identité américaine. Or les images de Chiara, de For Site à Simmonds Road et Starr King Park opposent très fréquemment une barrière au regard, mettant l’accent sur l’impénétrabilité plus que l’immensité. Le mystère, le questionnement l’emportent sur l’élan et la certitude. Il y a une subtile tension entre l’espace deviné et le chemin entravé du regard. Tout l’œuvre de Chiara procède de ces oppositions que l’artiste a le bon goût de ne pas souligner, à rebours d’une époque où l’artiste réfrène avec peine l’explicitation de ses intentions réelles ou de convention.

Les « paysages habités » incluent presque toujours un élément bâti, qu’il s’agisse d’une route, d’un groupe de maisons, ou d’un simple grillage. Les lieux choisis ne sont pas pittoresques, ils sont même d’une insigne banalité, on hésite à dire d’une laideur ordinaire. En effectuant sa mise au point, le photographe organise souvent un premier plan légèrement flou – pensons à Higate Drive at Altamont Drive, Daly City (2007), Twin Peaks Boulevard at Crestland Drive, San Francisco (2009), Bernal Heights Boulevard at Ellsworth Street, San Francisco (2011) ou encore Grand View Drive at Elysian Park, Los Angeles (2013), et séparé par une distance assez grande du sujet désigné par la mise au point : ce premier plan peut ne consister qu’en branchages, ou bien représenter un pan de route asphaltée, un simple talus.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479641-8672a576-f0d5-7″ include=”5072,5075″][vc_empty_space][vc_column_text]Presque toujours banal, sans grâce, il organise cependant une exclusion du regardeur, réduit à observer de loin, comme s’il souhaitait ne pas se montrer au sujet qui pourrait l’apercevoir et se dérober. Le regardeur est mis dans la situation du voyeur ou du détective qui désire voir, même si en réalité il n’y a pas grand-chose à voir, mais sait qu’en s’avançant il abolira l’objet de son désir ou de sa curiosité. Cette séparation signifie tout autant notre mise hors du paysage, hors même du temps de ce paysage, que la constitution de ce paysage en objet d’un regard désirant voir. Dans ce commentaire de l’acte de regarder où se mêlent l’invitation du premier plan à découvrir et la conscience d’une distance qui tient le spectateur à l’écart de la réalité qu’il observe, se tient la question immense du rapport que, par sa vue, l’homme entretient avec l’espace, et dont Edward Hall a commencé d’explorer la portée dans The Hidden Dimension (1966). Cette forme d’invitation à l’inaccessible, qui partage une syntaxe commune avec la tentation et la séduction, est propre à l’univers de la photographie, comme d’ailleurs à celui du vêtement.

La construction du premier plan brise l’unité de l’image qui n’est pas conçue comme un tout autonome puisque le spectateur s’y tient déjà, sur le seuil de l’image. Il est dans ce premier plan, en caméra subjective si l’on ose dire, et observe un objet qui se trouve au-delà, sorte d’extension à la photographie du procédé de la fenêtre en peinture que Matisse affectionnait tant : pensons à la Fenêtre ouverte à Collioure de 1905, qui ne représente pas un paysage mais ce que voit quelqu’un qui regarde un paysage, ce qui est bien différent. Or il existe une sourde contradiction entre la « forme-tableau » et le refus de son autonomie. La forme-tableau naît vers la fin des années 1970 lorsque sont produites des photographies de grand format faites pour être accrochées à un mur, comme un tableau, dans une confrontation avec le spectateur. Jean-François Chevrier, dans un remarquable article intitulé Les aventures de la forme tableau dans l’histoire de la photographie (1989), note que « Il ne s’agit pas d’élever l’image photographie à la place et au rang du tableau…Il s’agit d’utiliser le tableau pour réactiver une pensée du fragment, de l’ouvert et de la contradiction, et non l’utopie d’un ordre complet ou systématique ».

Tout, dans le travail de Chiara, fait référence à la forme-tableau, depuis le format jusqu’aux effets proprement picturaux qu’il parvient à donner aux couleurs par leur inversion, leur fondu, leur juxtaposition parfois inattendue, mais aussi par une composition parfois directement empruntée des moyens de la peinture de paysage mais détournés de leur fonction classique de constitution d’un premier plan. Regardons par exemple 15th Avenue at Noriega Street, San Francisco (2009) :  deux arbres au premier plan barrent verticalement l’image, tandis qu’une toiture plate d’une absolue banalité, faiblement éclairée par la lune (suppose-t-on), attire le regard vers un plan intermédiaire qui équilibre l’éclairement de l’ensemble. Ces arbres guident instinctivement le regard, qui tend à les éviter, vers le sujet qui se situe au-delà ; en reprenant la syntaxe de la peinture, ils métamorphosent en paysage ce morne tissu urbain que nul n’aurait considéré autrement en tant que paysage. Cependant, par leur présence si massive et leur position inhabituellement centrale, ces troncs semblent disposés comme pour empêcher de voir le tissu urbain en contrebas ; en outre, cette vue plongeante est inhabituelle dans la peinture de paysage avec naturellement des exceptions telles que La journée sombre de Brueghel l’Ancien (1565). Il en résulte un sentiment de vague étrangeté, où la ville paraît observée par quelque guetteur à l’affût d’un mouvement suspect dans la nuit. L’image devient interrogation sur la nature ambiguë du regard qui est porté à son objet.

Nous sommes bien dans une pensée du fragment où se font jour les tensions entre forme-tableau et absence de veduta, entre vue plongeante sur la ville et interdiction de la plénitude de cette vue, entre regard invité par la netteté d’un fragment du « tableau » mais entravé par un obstacle ou un flou, entre banalité du lieu et sophistication extrême de la lumière et des tons, avec ce ciel d’un vert Véronèse, entre attrait exercé par une vue du tableau à quelque distance, construit comme une abstraction aux tons verts, hachée de noir et semée de taches claires, et une vue rapprochée où apparaît dans sa crudité la chose urbaine, triste et vide. En choisissant une légère inclinaison de sa camera obscura, comme d’ailleurs dans Twin Peaks ou Bernal Heights, Chiara semble faire glisser ce tapis de bâtiments vers la droite, et lui ôte quelque chose de l’immobilité, de l’immutabilité de l’environnement construit : contradiction supplémentaire qui, s’ajoutant aux autres, instille une étrangeté en net contraste avec la démarche des photographes de la frontalité et de la neutralité comme Thomas Ruff ou Luc Delahaye qui ont eux aussi adopté la forme tableau dès la fin des années 1980.[/vc_column_text][vc_column_text]Presque toujours banal, sans grâce, il organise cependant une exclusion du regardeur, réduit à observer de loin, comme s’il souhaitait ne pas se montrer au sujet qui pourrait l’apercevoir et se dérober. Le regardeur est mis dans la situation du voyeur ou du détective qui désire voir, même si en réalité il n’y a pas grand-chose à voir, mais sait qu’en s’avançant il abolira l’objet de son désir ou de sa curiosité. Cette séparation signifie tout autant notre mise hors du paysage, hors même du temps de ce paysage, que la constitution de ce paysage en objet d’un regard désirant voir. Dans ce commentaire de l’acte de regarder où se mêlent l’invitation du premier plan à découvrir et la conscience d’une distance qui tient le spectateur à l’écart de la réalité qu’il observe, se tient la question immense du rapport que, par sa vue, l’homme entretient avec l’espace, et dont Edward Hall a commencé d’explorer la portée dans The Hidden Dimension (1966). Cette forme d’invitation à l’inaccessible, qui partage une syntaxe commune avec la tentation et la séduction, est propre à l’univers de la photographie, comme d’ailleurs à celui du vêtement.

La construction du premier plan brise l’unité de l’image qui n’est pas conçue comme un tout autonome puisque le spectateur s’y tient déjà, sur le seuil de l’image. Il est dans ce premier plan, en caméra subjective si l’on ose dire, et observe un objet qui se trouve au-delà, sorte d’extension à la photographie du procédé de la fenêtre en peinture que Matisse affectionnait tant : pensons à la Fenêtre ouverte à Collioure de 1905, qui ne représente pas un paysage mais ce que voit quelqu’un qui regarde un paysage, ce qui est bien différent. Or il existe une sourde contradiction entre la « forme-tableau » et le refus de son autonomie. La forme-tableau naît vers la fin des années 1970 lorsque sont produites des photographies de grand format faites pour être accrochées à un mur, comme un tableau, dans une confrontation avec le spectateur. Jean-François Chevrier, dans un remarquable article intitulé Les aventures de la forme tableau dans l’histoire de la photographie (1989), note que « Il ne s’agit pas d’élever l’image photographie à la place et au rang du tableau…Il s’agit d’utiliser le tableau pour réactiver une pensée du fragment, de l’ouvert et de la contradiction, et non l’utopie d’un ordre complet ou systématique ».

Tout, dans le travail de Chiara, fait référence à la forme-tableau, depuis le format jusqu’aux effets proprement picturaux qu’il parvient à donner aux couleurs par leur inversion, leur fondu, leur juxtaposition parfois inattendue, mais aussi par une composition parfois directement empruntée des moyens de la peinture de paysage mais détournés de leur fonction classique de constitution d’un premier plan. Regardons par exemple 15th Avenue at Noriega Street, San Francisco (2009) :  deux arbres au premier plan barrent verticalement l’image, tandis qu’une toiture plate d’une absolue banalité, faiblement éclairée par la lune (suppose-t-on), attire le regard vers un plan intermédiaire qui équilibre l’éclairement de l’ensemble. Ces arbres guident instinctivement le regard, qui tend à les éviter, vers le sujet qui se situe au-delà ; en reprenant la syntaxe de la peinture, ils métamorphosent en paysage ce morne tissu urbain que nul n’aurait considéré autrement en tant que paysage. Cependant, par leur présence si massive et leur position inhabituellement centrale, ces troncs semblent disposés comme pour empêcher de voir le tissu urbain en contrebas ; en outre, cette vue plongeante est inhabituelle dans la peinture de paysage avec naturellement des exceptions telles que La journée sombre de Brueghel l’Ancien (1565). Il en résulte un sentiment de vague étrangeté, où la ville paraît observée par quelque guetteur à l’affût d’un mouvement suspect dans la nuit. L’image devient interrogation sur la nature ambiguë du regard qui est porté à son objet.

Nous sommes bien dans une pensée du fragment où se font jour les tensions entre forme-tableau et absence de veduta, entre vue plongeante sur la ville et interdiction de la plénitude de cette vue, entre regard invité par la netteté d’un fragment du « tableau » mais entravé par un obstacle ou un flou, entre banalité du lieu et sophistication extrême de la lumière et des tons, avec ce ciel d’un vert Véronèse, entre attrait exercé par une vue du tableau à quelque distance, construit comme une abstraction aux tons verts, hachée de noir et semée de taches claires, et une vue rapprochée où apparaît dans sa crudité la chose urbaine, triste et vide. En choisissant une légère inclinaison de sa camera obscura, comme d’ailleurs dans Twin Peaks ou Bernal Heights, Chiara semble faire glisser ce tapis de bâtiments vers la droite, et lui ôte quelque chose de l’immobilité, de l’immutabilité de l’environnement construit : contradiction supplémentaire qui, s’ajoutant aux autres, instille une étrangeté en net contraste avec la démarche des photographes de la frontalité et de la neutralité comme Thomas Ruff ou Luc Delahaye qui ont eux aussi adopté la forme tableau dès la fin des années 1980.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479641-6beaffa0-9052-2″ include=”5070,5087″][vc_empty_space][vc_column_text]Cette structuration de l’espace évoque presque irrésistiblement le travail de Jean-Marc Bustamante intitulé Tableaux, et réalisé entre 1978 et 1982 au moyen d’une chambre de 20 x 25 cm, où l’on retrouve au premier plan un tertre, une levée de terre, un terrain vague caillouteux qui obstruent partiellement ou gênent la vue du sujet, qu’il s’agisse d’un médiocre paysage urbain, d’un bois traversé par une route, ou d’un bâtiment industriel quelconque. Ces tableaux sont caractérisés par l’absence au moins immédiatement perceptible de punctum, pour reprendre un vocabulaire barthésien : nulle surprise, nul lieu où arrêter véritablement le regard, qui est contraint d’osciller entre ces deux plans à la recherche d’un ancrage qu’il ne parvient pas à trouver. Nul espace laissé à une quelconque séduction car le premier plan est conçu comme obstacle et non comme invitation. Une image divisée, donc, avec un premier plan qui ne laisse voir qu’un lieu vague, indéfinissable, désenchanté, en excès ou – pour ce qui concerne Chiara, laissé dans le flou – qui nous sépare d’un sujet qui est constitué par une zone dans laquelle l’information visuelle est plus dense, sans que le motif soit nécessairement plus identifiable, ou retienne davantage l’attention.

Malgré certaines similitudes de structure, un abîme sépare cependant le monde de Bustamante de celui de Chiara. Chez Bustamante, l’image est délibérément plate, isonomique : chaque point en vaut un autre au sein de chacune des zones qu’une frontière sépare. La zone « vague » du premier plan, asthénique, est une sorte de no man’s land du regard. La zone « sujet », au second plan, d’une netteté semblable, contient un monde « sans qualité », auquel aucun adjectif ne semble convenir plus qu’un autre. Un troisième plan, moins clairement séparé du second que celui-ci ne l’est du premier, apporte parfois une certaine profondeur de champ. Ces images inaugurent une modernité qui refuse la hiérarchie des normes et des sujets, qui revendique la mise en exergue de ce qui est invisible, c’est-à-dire non pas méta-physique ou abstrait, mais sans force et sans attrait, qui refuse toute idée d’un beau harmonieux susceptible d’être atteint par un effort de composition ou par un savoir-faire, et où toute trace humaine porte la marque de l’intrusion autant que de l’inachèvement. Comme le dit Jean-Pierre Criqui dans son introduction à la rétrospective Bustamante de 1999, « De cette conjugaison paradoxale d’envahissement et d’abandon se dégage un fin sentiment de désastre ». La plus grande distance au tableau n’ajoute ni ne retranche rien : le spectateur reste tenu à l’écart.

Chez Chiara tout au contraire, le procédé de séparation des plans fonctionne comme un dispositif de réminiscence. Au lieu que le premier plan sépare, ou exclue, il devient ouverture, accès presque voyeuriste. Du flou surgit un souvenir, un moment, que ranime le motif. Celui-ci est tenu à distance non par le no man’s land visuel, mais par l’irréalité de ces lumières d’aube ou de crépuscule, de ces couleurs improbables ou lactescentes, d’un point de vue qui suggère l’apparition incongrue plus que le choix délibéré d’une pose. Chiara parvient à introduire le temps par déréalisation de l’objet, et ce temps ne saurait être que celui d’une réminiscence que ne gouverne aucun propos, aucune intention. Si l’absence d’intentionnalité est un trait parfaitement moderne lorsqu’elle est – comme chez Bustamante – refus d’imposer au réel l’autorité d’un point de vue, et par là même négation implicite de toute la tradition humaniste issue de la Renaissance, elle est aussi bien associée au caractère inconscient, aux automatismes psychiques, à la non-polarité.

Les paysages habités de Chiara sont des invitations à méditer sur le rapport homme – nature. Nous ne sommes ni dans une exaltation spirituelle face aux merveilles de la nature, à la manière d’un Anselm Adams, ni dans une dénonciation péremptoire de l’intervention humaine sur ladite nature. Comme le dit avec infiniment de pertinence Simon Schama dans Landscape & Memory, « Avant que d’être un repos pour les sens, le paysage est un ouvrage de l’esprit. Son décor est constitué de strates de mémoire autant que de couches de roches », ajoutant que « la nature sauvage était le produit d’une aspiration et d’une formulation culturelles au même titre que n’importe quel autre jardin imaginaire… le seul fait d’identifier (et plus encore de photographier) l’endroit [en parlant du parc Yosemite photographié par Ansel Adams] présuppose notre présence, et avec nous celle du lourd bagage culturel que nous traînons sur le chemin […] Comme tous les jardins, le Yosemite suppose que soient dressées des barrières contre les bêtes sauvages. Mais ses protecteurs ont inversé les conventions en gardant les animaux dedans et les hommes dehors ».

Le paysage, ou plus largement la scène, sont vus par la lentille de l’esprit avant que de l’être par celle qui défend l’huis de la chambre noire, mais la photographie elle-même est ensuite à nouveau filtrée par le « bagage culturel » dont parle Schama avant que d’être véritablement perçue. Ces deux filtres – celui du photographe et celui du spectateur – diffèrent toujours, et c’est de leur succession que naît l’œuvre, produit culturel qui alimentera encore le regard, c’est-à-dire le sens de la vue passé au tamis de la culture. Nous ne voyons la nature qu’au travers de ce miroir de Claude qui la transforme en paysage, en motif. On rappellera que le miroir de Claude était un petit miroir teinté au noir de fumée que les artistes et voyageurs utilisaient au 18ème siècle pour isoler de son environnement comme de ses couleurs naturelles le motif à peindre ou à dessiner, et trouver ainsi un cadrage satisfaisant.

Les photographes conceptuels, mais aussi des photographes tels que Bustamante ou Jeff Wall, ont tenté d’éliminer ce miroir de Claude, ou tout au moins la perception qu’il existait. C’était une illusion de plus, sans doute, car la recherche délibérée d’une insignifiance demeure un acte de choix esthétique autant qu’idéologique. Chiara n’a aucune inclination pour cette feinte nudité, cette « objectité » du réel : il choisit soigneusement ses points de vue, travaille la matière photographique, et s’ingénie à mieux anticiper le rendu inévitablement incertain de son dispositif. Le recours à la forme du diptyque vertical, comme pour les immenses palmiers de Grand View Drive at Elysian Park, Los Angeles (2013), ou encore à l’impression en négatif qui inverse les couleurs et la luminosité, sont une négation de cette « pure présence physique » recherchée par Bustamante afin de rendre le spectateur davantage responsable de son seul regard, plutôt que simple récepteur d’une vision préalablement construite. Avec Chiara, le spectateur hérite en quelque sorte d’un objet visuel qui incorpore le point de vue, les souvenirs, les divagations, les tâtonnements artisanaux du photographe, mais offre de la sorte un point d’appui à son propre imaginaire, comme nous faisons nôtres les atmosphères décrites par la littérature. Edward Hall a ces mots si pertinents, dont il ne prolonge pas hélas l’intuition : « Que se passerait-il si, au lieu de considérer les images employées par les auteurs comme des conventions littéraires, on les étudiait soigneusement en les considérant comme des systèmes rigoureux de réminiscence destinés à libérer des souvenirs ? ». S’il est vrai qu’on ne comprend une image littéraire que par référence inconsciente à ce qu’elle évoque en nous, et non pas en l’auteur qui est autre que nous, il en va de même pour la photographie même si son caractère plus explicite contraint davantage l’imaginaire.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid grid_id=”vc_gid:1636367479642-3e4ae1a7-83af-4″ include=”5088,4997,5090″][vc_empty_space][vc_column_text]Il y a chez Chiara, grâce à la « forme tableau » qui autorise un éloignement physique du spectateur, mais aussi grâce aux plans soigneusement construits par le choix d’ouverture, à l’agencement des « strates » de couleur, voire aux textures – rochers, troncs, chaussées, pans de ciel – une extraordinaire mutation de l’image selon la distance d’où on la regarde. De loin, ces bosquets, ces rangées d’immeubles, ces véhicules s’estompent, et la perception est dominée par une très subtile harmonie de couleurs qui transfigure ces lieux en une composition abstraite. En s’approchant, on pénètre un monde qui, pour être très précisément situé d’un point de vue cartographique – à chaque tableau est associé le nom de la voie routière depuis laquelle le cliché a été pris – n’en paraît pas moins appartenir à un ailleurs indéfinissable pour qui n’est pas familier du lieu. Le spectateur est ainsi pris dans un perpétuel désir de rapprochement ou d’éloignement. Le délavé de certaines couleurs, l’imperfection de la forme rectangulaire de la photo, les traces qui la traversent, mais surtout la lumière d’entre-deux mondes, d’entre-deux temps qui baigne ces paysages, en font des a-topies et des a-chronies, des lieux d’errance ou d’ambulation mentale. L’absence de toute présence humaine dans un monde habité, ou plutôt empli de tous les indices matériels d’une présence humaine, contribuent à cette déréalisation que le prétexte de l’heure tardive ou matinale ne suffit pas à contrebattre.

L’artiste déclare : « les endroits que je choisis de photographier sont souvent quelconques – des espaces entre-deux du paysage, des genres d’endroits à côté desquels on passerait normalement sans y prêter attention ». Il n’explicite ce choix que très indirectement, par référence à des expériences visuelles gravées dans la mémoire en raison d’un « poids » psychologique qui leur serait attaché, et qui leur permettrait de ressurgir. Naturellement, nous ne partageons pas ces expériences par nature individuelles, et d’ailleurs elles ne sauraient nous importer, ni clarifier en quoi que ce soit ce qui relève du surgissement ou de la réminiscence plus que de l’intention. Mais, hormis ses paysages parfois grandioses et les chefs d’œuvre architecturaux de quelques métropoles, l’Amérique est pour l’essentiel tissée de ces entre-deux ni tout-à-fait urbains ni tout-à-fait ruraux, ni charmants ni sinistres, qui sont nés pour l’essentiel de considérations pragmatiques et paraissent souvent dépourvus de toute conception d’ensemble. Ce sont des lieux où la photographie s’était assez peu attardée avant les années 1970. A ces lieux oubliés de l’image, Chiara restitue par l’entremise de ses expériences personnelles une visibilité en tant que « monde intermédiaire » dans tous les sens du terme, ni étrange ni familier, ni beau ni laid, ni violent ni innocent, ni accueillant ni inhumain. Chiara n’enregistre pas ce qu’il voit pour en faire une métaphore de l’empiètement sur le monde, ou d’un quotidien touchant malgré tout.

C’est un travail tout autre que Chiara a entrepris à partir de 2012 – 2013 en photographiant le monde urbain de l’intérieur, c’est-à-dire depuis la rue et non pas depuis quelque éminence le surplombant.

Une première série nous montre la façade de certains immeubles bas de San Francisco, prise à distance rapprochée et sans plan de transition, comme à la sauvette mais en réalité comme résultat d’un long processus ; nous en concevons le sentiment d’un enregistrement quelque peu négligent du réel, qui ne s’attacherait ni à l’architecture, ni à quelque détail retenant l’attention, ni à l’insertion de l’immeuble dans le tissu urbain, ni même à cette supposée « réhabilitation du quotidien » qui est la tarte à la crème de la post-modernité. La logique n’est pas fondamentalement différente de celle déjà évoquée : tout pittoresque, tout élément support d’une narration, est soigneusement évité au profit d’un investissement émotionnel du lieu, qui se met à ressembler à une demeure où quelqu’un a des souvenirs : on sent littéralement que telle ou telle façade, dans ou malgré sa banalité, sa « normalité », est un lieu de mémoire pour un inconnu, comme telle personne d’un âge mûr ayant perdu tout son charme et son attrait physique n’en évoque pas moins mille souvenirs pour qui l’a connue, en d’autres temps. C’est une photo tombée d’un tiroir, mais à l’échelle d’un tableau.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479643-eec4c652-ab90-7″ include=”5091,5092″][vc_empty_space][vc_column_text]Tout autre est le monde que nous révèle l’artiste dans ses admirables impressions sur négatif, dont il est un maître incontestable. La série au format 50″ x 40″ sur épreuve couleur chromogène qu’il a réalisée en 2018 à New York, est d’une présence visuelle rarement atteinte par ce medium. Le procédé transfigure un objet autrement banal, non pas en soi mais par épuisement iconographique, celui des immeubles newyorkais mille fois photographiés : prodige de l’inversion des couleurs. Immeubles en contre-plongée se hissant vers un ciel jaune ou rouge, saturation plus élevée des couleurs, formes comme découpées sur un fond qui leur serait étranger, impression confuse de collage et de décor de spectacle : Chiara nous livre sur un mode expressionniste une ville que nous ne verrons jamais de nos yeux, et que seule peut rendre la photographie…ou la peinture. Une ville colorisée comme ces arbres qu’Antonioni fit repeindre dans Désert Rouge… La ville n’est pas vide, elle n’est pas abandonnée, elle n’est pas morte : c’est une ville comme peinte, qui ressemble terriblement à cette ville que l’on appelle New York, mais à laquelle aucun souvenir, aucun vécu ne peut s’attacher. Peinture et photographie fusionnent non par superposition de l’un à l’autre, comme dans l’hyperréalisme, mais par adoption de mêmes codes ; cela est particulièrement évident avec West 43rd street and Fifth Avenue ou encore Lexington Avenue near East 39th Street.

Ici, le monde est vu d’en bas, laissant un pan de ciel apparaître en haut ; avec l’objectif choisi, on n’aperçoit qu’un fragment de ce monde urbain. Jamais de cette frontalité qui signe dans le post-modernisme ou la New Topography une volonté de neutralité à l’égard de l’objet : l’image offre des échappées, des points de fuite, mais aussi des contrastes particulièrement violents. Si la forme rectiligne domine, un arbre, un réverbère, une fenêtre ou un pont en arc viennent en adoucir la rigueur. Il y a séduction immédiate du regardeur, mais une séduction qui émane moins de l’objet lui-même ou de ses qualités formelles propres que de son étrangeté.

On pense à quelque transposition contemporaine de l’esprit d’Edward Steichen (1879 – 1973), cet extraordinaire peintre, photographe, reporter, galeriste et directeur de musée américain qui évolua du pictorialisme à la « straight photography », et fut l’un des premiers à utiliser la couleur dont il avait appris le procédé auprès de Louis Lumière en 1907. Steichen a marqué l’histoire de la photographie en mêlant l’art pictural à la technique photographique, comme son Flatiron de 1905 en est l’exemple, en écho au fameux Flatiron sous la neige d’Alfred Stieglitz (1903), et plus tard en recourant à des lumières théâtrales, à la recherche d’un rendu spectaculaire. Or, et de son propre aveu, le travail de Steichen était clairement à l’esprit de John Chiara lorsqu’il a entreprise de photographier New York ; il évoque notamment les bleus et les verts intenses de ses tirages à la gomme bichromatée.

Dans une interview avec LensCulture en 2018, John Chiara explique très clairement les raisons de l’absence toute présence humaine : « J’interprète différemment les photos lorsqu’on y voit des gens. En partie, je crois, parce que lorsqu’il y en a, cela devient à propos de ces gens, et l’image devient beaucoup plus objective. Lorsqu’il n’y a personne, cela semble plus subjectif. On a l’impression de pouvoir s’en saisir et en prendre possession en tant que spectateur, elle devient vôtre en quelque sorte, elle devient quelque chose dont vous pouvez penser qu’elle pourrait venir de votre passé ou de votre mémoire, vous pouvez établir un lien d’une autre manière, je crois ». Cette réponse est particulièrement éclairante en ceci que l’art de John Chiara se propose de sculpter une image on ne peut plus objective, celle d’un immeuble, d’un arbre ou d’une rue, de telle sorte qu’elle soit capable d’accéder à l’espace mental du spectateur comme si elle avait appartenu à son propre souvenir ; il met le spectateur en position de projeter sa propre histoire, ou peut-être celle d’un autre, sur cette image, sans pour autant céder à un quelconque illusionnisme. Le passage du soi regardant à l’image est simplement facilité.

Il est intéressant de s’arrêter un instant sur les cent quinze ans environ qui séparent les deux images du Flatiron par Stieglitz et Steichen de celle du Saint James Place near Madison Street ou du Pike Street at Monroe Street par John Chiara. Outre ses caractéristiques proprement structurales – tronc d’arbre vertical plus sombre au premier plan, bouquet d’arbres au second, immeuble vertical apparaissant dans une brume « à la Whistler » en arrière-plan, comme émergeant de la ligne nuageuse des branchages enneigés – la photographie de Stieglitz est construite comme un haïku visuel. L’impression qui naît du regard est poétisée, ouvrant un espace à une possible méditation ; le fondu des innombrables nuances de gris incite à la rêverie. Rien de tel chez Chiara : son sujet n’est ni la poétisation ni, à l’inverse, la célébration de la ville-machine comme le ferait un Charles Sheeler, mais la constitution d’une image mentale, venue pour ainsi dire de l’intérieur.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479643-69839b10-ff2a-0″ include=”5094,5095″][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479644-930a84be-7b60-5″ include=”5096,5097″][vc_empty_space][vc_column_text]Le tirage en négatif inverse métaphoriquement la provenance de l’objet : non plus venu de l’extérieur, de l’environnement, comme une image donnée, mais de l’intérieur, de la pensée observante, comme une image conscientisée, pour reprendre d’une autre manière le questionnement de Husserl.

Il convient d’ajouter à cela que la couleur, qui joue ici un rôle si fondamental, est un véhicule de ce passage. Naturelle, elle nous maintient ancrés dans un monde objectif ; c’est bien pour cela que la transfiguration opérée par le noir et blanc est si puissante. Inversée, elle nous en éloigne, et rapproche le monde observé d’un monde imaginé.  Quelque chose d’un univers fantastique s’est ainsi glissé dans les images de Chiara, comme si la ville était devenue une planche de bande dessinée d’anticipation, ou le décor d’un film expressionniste : l’opposé de la photographie documentaire. L’image, faite tout entière suggestion, n’a rien à nous dire de la sociologie urbaine, de l’histoire du lieu, de l’architecture du 20ème siècle ou de la vie de ceux qui l’habitent. Débarrassée du contexte social, historique et artistique de son objet, elle n’est pas non plus réduite à un simple exercice d’esthétisation de cet objet. Elle le déplace vers un univers visuel qui est celui d’un après, par une opération de l’imagination, ou d’un avant, par une opération de la mémoire ou du rêve. Ce n’est plus le temps de la réminiscence, mais celui de l’uchronie, d’un chemin associant un cadre physique familier à une dimension temporelle ou contextuelle différente.

La contre-plongée nous force en outre à considérer cette image comme émanant de notre œil à nous, elle est par construction subjective, produit d’une noèse. Et si nous voyions cela en levant les yeux, c’est que nous serions déjà autres, ou dans un autre état de conscience. Nous verrions le monde autrement qu’on ne peut le voir en déambulant aujourd’hui, et ce monde-ci, dans son objectivité, nous serait devenu étrange. Avec ses moyens d’un autre temps, John Chiara nous devance quelque peu, il nous fait voir que nous ne sommes plus tout-à-fait immergés dans le présent mais faisons déjà route vers ce possible – d’autant plus possible qu’il est visuellement familier – qu’on nous laisse entrevoir. Nul doute que si une condition atmosphérique nouvelle nous faisait voir New York telle qu’il nous la montre, nous en prendrions des millions de photos. Ce serait un spectacle à la fois magique et inquiétant, mais certainement digne de mémoire : nous hésiterions entre la fascination du spectacle et la terreur d’une apocalypse, voulant tout voir et ne jamais avoir vu. Chiara nous transporte en ce point-limite qui se situe à la charnière du réel et de la fiction. Crainte vague et beauté possible d’un à-venir, errance au sein même du familier, déplacement constant de nos manières de voir le monde, émerveillement inquiet : voici la condition de l’homme contemporain.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479644-06ed0ab9-f827-4″ include=”5098,5038″][vc_empty_space][vc_column_text]Après New York, Budapest, en 2019. Voici des tirages négatifs 50″ x 30″ (127 x 76cm) sur papier Fujiflex Crystal Archive. Les couleurs sont moins saturées, la palette bistre ou bleu pâle. Toujours ces contre-plongées mais dans un monde qui peine à s’élever, et qui reste séparé de nous par un mur, un grillage, une place vide. Au lieu que d’y être aspirés, nous en sommes tenus quelque peu à distance par ces dispositifs comme par la tonalité générale. Des diagonales – un mur, les faîtages ou gouttières des bâtiments, une rue ou un câble électrique – que ne viennent pas contrebalancer de franches verticales, contredisent l’idée d’un monde qui se dresse (Tompau at Pintér József u., Váci ut at Déryne köz, ou encore Rákospalota u. at Násznagy u., Angyalöld): la ville se cache, s’excuse, se tient en retrait. Voilà un tout autre univers, plus intimiste et comme plus inquiet. On croit lire la difficulté d’y pénétrer, particulièrement saisissante avec Pintér József u. at Tompa u., et de manière assez subtile la perception d’un monde plus discordant, moins achevé, tant par l’agencement des formes que par la plus grande hétérogénéité des images.

Cependant Chiara semble reprendre ici le fil laissé interrompu en 1923 par le grand André Kertesz (1894 – 1985), qui laissa sa Hongrie natale pour Paris, puis New York. Il y a déjà chez le Kertesz de Budapest cette maîtrise miraculeuse de la composition, de l’équilibre des tons et des contrastes. Dans une photo de novembre 1914, l’homme juste en dessous du croisement des diagonales s’éloigne dans la nuit vers un coin de rue éclairé d’une lumière blafarde ; la moitié gauche de l’image est dans une obscurité presque totale, la moitié droite nous fait voir de pauvres demeures dans un cercle mieux éclairé ; l’empierrement de la chaussée donne une texture différente à la rue, qui tourne bientôt vers l’invisible destin de ce promeneur solitaire en chapeau, ses mains dans les poches.

On revoit chez Chiara de telles rues, de telles façades, un côté courbé comme le promeneur de Kertesz. Un esprit retrouvé, par d’autres moyens. Une intelligence du lieu, très certainement, bien à l’écart du Danube majestueux et du château de Buda. Un lieu trop malmené par l’Histoire, d’où sourd peut-être l’intuition de ces horizons fermés, de ces chemins qui se refusent à dire où ils mènent, et s’ils mènent en quelque lieu. Le passé semble y peser davantage que l’avenir.

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid grid_id=”vc_gid:1636367479644-02ad5ee2-700d-4″ include=”5099,5100,5101″][vc_empty_space][vc_column_text]Sur les fondements des idéaux formels du modernisme, et avec le rejet progressif des grandes narrations collectives, on associe volontiers simplicité, lisibilité, authenticité, vérité et honnêteté. Le regard se désenchante au moment où la forme urbaine, n’étant plus tenue par la monumentalité, tend à se désagréger. L’emprise des réseaux routiers ou électriques, des barrières et aménagements de toutes sortes, des chantiers en cours et des bâtiments en déshérence, fragmente visuellement le territoire, et socialement les communautés. La photographie veut en rendre compte, parfois avec une démarche s’apparentant à l’archivage ethnographique, mais souvent dans la perspective d’une contestation de la culture et du mode de vie américains, préfigurant l’écologisme contemporain. Le mouvement New Topographics est paradigmatique de cette attitude ; il n’est pas surprenant qu’il naisse dans un pays où l’immensité de l’espace a nourri une culture de la négligence et du gaspillage de ce qui pouvait sembler inépuisable : un classique de l’économie des commons. Le titre de l’exposition fondatrice à Rochester, en 1975, dit tout du propos : New Topographics : Photographs of a Man-Altered Landscape (Nouvelle topographie : photographies d’un paysage altéré par l’Homme). Cette sensibilité réunit des photographes tels que Lewis Baltz, Art Sinsabaugh ou Stuart Allen. L’humain est absent d’un grand nombre de ces images, pour n’en laisser voir que l’emprise et l’empreinte : ruche sans abeilles et terrier sans lapin. Dans ce sens, l’apparente neutralité de l’image, qui mime celle de l’observation scientifique, n’en est pas une. C’est une construction qui essentialise les notions d’abandon, de négligence, d’espace altéré ou gaspillé, qui seraient le propre d’une culture, pour ne pas dire d’une civilisation, tout en les associant implicitement à l’absurde et à la mort.

Dans ce contexte, l’appréhension des espaces habités ou urbains par Chiara représente une double rupture : d’une part il translate ou transpose ces espaces dans la dimension mémorielle ou imaginaire que la platitude leur dérobait, et d’autre part il rejette la dichotomie théâtralité contre neutralité, sans choir pour autant dans un improbable ré-enchantement, ou dans la fiction d’une hyper-banalité joyeuse.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ grid_id=”vc_gid:1636367479645-1c522eb2-7dab-6″ include=”5102,5103″][vc_empty_space][vc_column_text]Le temps ne se laisse pas appréhender que dans les architectures de pierre et de métal, dans les concrétions urbaines, dans les terrains à l’abandon ou en construction ; il habite aussi les arbres. En 2019, John Chiara a photographié et imprimé par tirage négatif chromogénique des Pinus longaeva (ou pins de Bristlecone) qui comptent parmi ses images les plus émouvantes, mais rompent avec son refus ordinaire des tropes. Il s’agit en l’occurrence d’un arbre de la famille des Pinacées dont l’habitat se situe dans la chaîne des White Mountains, entre l’est de la Californie et le Nevada, culminant aux alentours de 4000m ; certains spécimens, vieux de quarante-cinq à quarante-huit siècles, sont considérés comme les plus vieux arbres de notre planète, mais non pas les êtres vivants les plus anciens puisque l’âge des éponges Scolymastra joubini  est estimé à environ 23.000 ans, et celui des colonies clonales de posidonie (Posidonia oceanica) à plus de cent mille ans…

Pinus longaeva est d’une croissance extrêmement lente : son diamètre croît d’environ 0,13mm par an. Avec l’âge, son feuillage se raréfie, il semble se fossiliser, se contorsionne, son apparence devient spectrale comme s’il avait été dessiné pour inquiéter ; aucun individu ne ressemble à aucun autre. Témoins de l’Ancien Empire d’Egypte à l’aube de l’Histoire, certains de ces spécimens, qui ont survécu à des événements climatiques sévères, le seront peut-être de sa fin. C’est grâce à ces arbres que de nombreuses datations ont pu être établies ou recalibrées, mais aussi que le climatologue Michael Mann a pu établir sa fameuse courbe en « crosse de hockey » illustrant la montée rapide des températures moyennes depuis le début de l’ère industrielle, courbe qui est à l’origine du débat public sur le changement climatique.

Il y a donc dans les images de Pinus longaeva produites par Chiara un feuilleté de métaphores qui en fait de véritables icônes de notre temps. Métaphore de notre Histoire, et de la vulnérabilité d’une succession de civilisations dont on ne sait si elle seront témoin de la mort des spécimens existants, ou l’inverse ; métaphore de la crise climatique, naturellement, puisque ses cernes de croissance nous servent de mesure et d’alerte ; métaphore de toute vie, puisque l’arbre de vie est l’un des plus anciens archétypes dont disposions, depuis le Livre de la Genèse (Gn 3, 23-24) jusqu’à l’Ashvattha hindouiste et l’arbre Bodhi du Bouddha, pour ne prendre que ces exemples. Matérialisation de cette phrase de Kant, « d’un bois aussi tordu que celui dont est fait l’Homme, rien de tout-à-fait droit ne saurait être obtenu » tirée de la sixième proposition de l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique (1784), où le philosophe examine le moyen de résoudre la contradiction qui existe entre d’une part, l’égoïsme des individus qui est incompatible avec le déploiement de la Raison, et d’autre part la réalisation du dessein de la Nature qui conduit à l’établissement d’une société juste et pacifique : question actuelle s’il en est, au regard des grands défis universaux auxquels sont confrontées les générations du temps présent.

Si Chiara s’était contenté de faire une belle photographie de Pinus longaeva, nous en serions restés à la toujours utile et sympathique illustration d’une réalité botanique. Or, par la théâtralisation qu’induisent ensemble le tirage en négatif, le jaune saturé du ciel, la centralité de l’arbre, et le pathos baroquisant de son branchage, nous sommes mis face à un objet devenu hypostase de ses propres connotations : il est ce temps écoulé de notre Histoire, il est ce bois tordu dont nous parle Kant, il est cette vie qui semble l’avoir abandonné mais l’habite encore, il est tout ensemble le vécu des désastres qui guettent et celui qui semble nous exhorter à les prévenir. Le jaune du ciel n’est pas une couleur parmi les autres dans notre culture visuelle : couleur de la lumière solaire, proche de l’or, il a une valeur kratophanique. Il est couleur de l’éternité divine, de l’immortalité, d’où les fonds d’or des icônes et mosaïques chrétiennes ; attribut de Mithra, d’Apollon et de Vishnu, le porteur d’habits jaunes, couleur de Zoroastre. Comme le remarque Kandinsky, le jaune a une tendance au clair, et ne peut jamais être très foncé, « on peut donc dire qu’il existe une affinité profonde, physique, entre le jaune et le blanc. » (in Du spirituel dans l’art). Et en effet, le négatif rend par endroits le tronc de ces arbres presque blancs, il les hiératise. Ces photographies semblent construites, délibérément ou non, comme des icônes de la destinée historique de l’homme, de ce dessein profond de la nature de l’Homme que croyait distinguer Kant, à moins que cela ne soit de son destin.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid grid_id=”vc_gid:1636367479645-79692e2e-22f5-6″ include=”5104,5105,5106″][vc_empty_space][vc_column_text]Parmi les questions que suscite l’œuvre de John Chiara, on s’attardera brièvement sur sa place dans la photographie d’art contemporaine au regard des questions de l’exclusion du spectateur, c’est-à-dire de la théâtralité de l’image, d’une part, et de son rôle dans la « crise de l’image » qui caractérise notre temps.

La question de la théâtralité résulte de la différence maintes fois discutée depuis que Diderot l’a exposée pour la première fois entre ce qui est vu par le spectateur et ce qui est délibérément montré par l’artiste, distinction brillamment glosée dans les travaux de Michael Fried. La photographie a pris le parti, depuis les années 1970, de rejeter la théâtralité au profit de ce que Fried a nommé, dans un texte important datant de 1968, l’objectité.  Les travaux de Bustamante, de Wall, de Ruff, de Gursky ou de Demand font montre d’une clôture de l’image sur elle-même, ils mettent en scène la superfluité paradoxale du regard du spectateur puisque l’image n’est pas construite en faisant appel à lui, en le prenant à témoin de ce qui se joue, bien que la « forme tableau » soit conçue précisément en vue d’un regard.

Chez Chiara, il y a une forme de rupture avec le parti pris d’anti-théâtralité de cette tradition, mais cette rupture demeure réticente. Les « paysages habités » sont construits sur un système d’exclusion du spectateur, puisque l’apparente banalité du motif n’a de signification que pour un autre que le sujet regardant, comme s’il s’agissait de regarder ce que l’autre aperçoit de sa fenêtre, par exemple une prairie et une rocade d’autoroute, qui ont fondé ses souvenirs, mais pas les nôtres. En même temps, tout un dispositif esthétique, une manière, un travail approfondi sur les couleurs et la matière même de la photographie, constituent une machine théâtrale faite pour nous attirer vers ce motif. Veni et vide, venez et regardez, pour reprendre les mots de Bossuet. Oui, mais regarder quoi ? Un état éphémère du monde, une image qui nous en rappelle d’autres et sollicite ainsi notre plus profonde mémoire, ou encore un pur objet pictural où domineront une courbe claire, un scintillement, une lueur parmi la masse sombre des arbres, un subtil équilibre de tons, si nous nous plaçons à bonne distance du tableau. Surtout, regarder le dispositif lui-même, car c’est aussi toute cette machinerie qui nous est montrée. Ce sont les cintres et les quinquets, le rideau et le décor de scène, les costumes, et nous en oublions presque la pièce qui se joue. Le sujet de Chiara, n’est-ce pas aussi le désir de regarder, une résurrection de la forme en tant que forme? Lorsque Kertész nous montre une fourchette appuyée sur le bord d’une assiette (1928), ce n’est pas la fourchette qui nous intéresse mais la composition, l’éclairage, le jeu des ombres.

 

Lorsque Chiara nous montre la façade d’un immeuble quelconque de Manhattan, mille fois vu sur place ou au cinéma, ce sont les rapports des ombres aux lumières, la qualité particulière de ces rouges cinabre du ciel, ces verticales qui se rejoindront loin au-dessus du tableau, et nous évoquent les décors du Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene (1920) ou la ville postapocalyptique dessinée par Sebela et Barreto dans Escape from New York

Or cet appel au regard demeure réticent, tant il est malaisé d’échappe au bain intellectuel d’une photographie contemporaine dominée par le discours de l’anti-théâtralité, un bain qui imprègne autant le spectateur que l’auteur. Cette réticence se manifeste par les barrières mises au regard, mais aussi plus subtilement par les moyens de la théâtralité eux-mêmes, qui certes attirent ce regard, mais aussi l’empêchent d’atteindre un réel, lui dérobent l’objet comme un vêtement de parade dérobe le corps au regard du spectateur pour ne laisser qu’un émerveillement ou un désir frustré de son objet. Méthode publicitaire, au fond, qui renvoie au statut du réel dans les sociétés contemporaines : rien n’est plus tout-à-fait ce qu’en dit son image : ni les lieux, ni les personnes, ni les faits. La quête d’une forme de « choséité », de vérité « nue » dépouillée de toute tentative d’interprétation, d’enjolivement, et de projection des affects de l’artiste, qu’elle soit exprimée au moyen de la distance comme chez Andreas Gursky, de la création d’un décor purement artificiel comme chez Thomas Demand, ou de la taxonomie obsessionnelle de bâtiments industriels comme chez Bernd et Hilla Becher, fait place à une vérité « habillée », « parée », « sculptée ». Le sujet reste cependant tenu à l’écart non par saturation de l’image, c’est-à-dire, pour reprendre le vocabulaire de Régis Durand, une image qui désamorce toute projection du spectateur et l’aliène de ce qu’il voit, mais par ce que Chiara définit comme sa « sculpture ».

Toujours, le Temps rôde : sentiment d’attendre qu’il se passe quelque chose dans cette banlieue banale, ou derrière les rideaux de cette fenêtre de San Francisco, ou qu’un souvenir resté enfoui dans cette image qui paraît ancienne en quelque manière se manifeste, ou que notre temps ne coïncide plus avec celui cette ville verticale où rien ne trahit une présence, ou encore sentiment de tout ce temps de l’Histoire comme contenu dans ce Pinus longaeva. Sentiment parfois d’un monde post-apocalyptique aussi, comme dans le somptueux Aguadulce at Route 14 de 2013, où le réel se confond dans sa propre abstraction par le moyen d’une coloration que l’on a envie de dire martienne, et où disparaît toute notion d’échelle : on ne sait au juste si l’on devine des arbres dans un vaste paysage embrumé ou des ronces éparses au bord d’un chemin.

Naturellement, toute photographie a partie liée avec le temps, puisqu’elle en « fixe » un instant pour le transformer en durée, la durée du regard que nous portons sur l’image. Dans ce sens, la photographie est toujours à la fois dépassée et hors du temps auquel elle a volé l’apparence de son objet. L’utilisation de la camera obscura rend cependant visible, presque palpable, un temps décalé par rapport au nôtre, puisque nous sommes désormais culturellement habitués à des images homogènes, uniformément nettes et sans matière.  Qui plus est, Chiara prend le parti– à de rares exceptions près – de différencier assez fortement les plans, que ce soit par la mise au point ou par un habile usage de la brume ou des nuages, voire d’interventions physiques sur le papier photosensible. L’ensemble de ces effets déplace l’image dans un autre temps, comme on le dit du « temps » du rêve, mais aussi d’un temps grammatical où l’on passerait d’un présent ou du passé composé d’un fait advenu à l’imparfait d’un fait peut-être réel ou peut-être imaginaire, qui a langui jusqu’à ce jour peut-être, ou se répétait en ce lieu. Jamais cependant ce temps ne se fait nostalgie : ce n’est pas un temps perdu.

.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”12″ grid_id=”vc_gid:1636367479646-bd5ec9ee-c23f-8″ include=”5107″][vc_empty_space][vc_column_text]On est tenté de lire le travail de John Chiara dans des termes qui s’inspirent de la quête bergsonienne de résolution de la dualité matière – mémoire ; sa photographie « sculpte » la matière que l’artiste se choisit, et c’est ainsi façonnée que l’image appelle en chaque spectateur une temporalité qui lui est particulière, le faisant ainsi échapper à une simple présentation de la chose, sans pour autant l’assortir du bavardage d’une thèse. Matière et mémoire donnent ensemble vie à l’image.[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”2/3″][vc_column_text]

CURRICULUM VITAE
[/vc_column_text][vc_empty_space height=”50px”][vc_column_text]John Chiara received his B.F.A. in Photography from the University of Utah in 1995, and his M.F.A. in Photography from the California College of the Arts in 2004. He has been an artist in residence at Crown Point Press, San Francisco, in 2006 and in 2017; at Gallery Four, Baltimore in 2010, and at the Marin Headlands Center for the Arts in 2010.  In 2011, Chiara’s Bridge Project was commissioned by the Pilara Foundation, San Francisco, and was included in the Pier 24 Photography group exhibition titled HERE. In 2012 Chiara was one of thirteen international artists whose work was included in the exhibition Crown Point Press at Fifty at the National Gallery of Art, Washington D. C., and at the de Young Museum, Fine Arts Museums of San Francisco. He curated and participated in an exhibition In Conversation – June Schwarcz and John Chiara at the Richmond Art Center, Richmond, California in 2012. The Pilara Foundation commissioned Chiara a second time in 2013 for the group exhibition A Sense of Place at Pier 24 Photography in San Francisco. Concurrently, Chiara’s work was included in Twisted Sisters: Reimagining Urban Portraiture at the Museum Barengasse, Zurich, Switzerland, and in Staking Claim, a California triennial invitational at the San Diego Museum of Photographic Art. In 2015, Chiara was one of seven artists featured in Light, Paper, Process, Reinventing Photography, at the J. Paul Getty Museum in Los Angeles. In 2016, Chiara’s work was included in A MATTER OF MEMORY: PHOTOGRAPHY AS OBJECT IN THE DIGITAL AGE at the George Eastman Museum in Rochester, New York. After dedicating an extended period in 1995 to making contact prints from his 2-1/4″ x 2-1/4 inch negatives, John Chiara decided that too much information was lost in the darkroom enlargement process. Over the next six years he developed his own equipment and processes to make first-generation unique photographs without using film.

Chiara developed a process that is part photography, part sculpture, and part event. It is an undertaking requiring invention in his tools and patience in using them. He creates one-of-a-kind photographs in a variety of hand-built cameras, the largest of which is a 50″ x 80″ field camera that he transports on a flatbed trailer. Once he selects a location, he situates, and then physically enters, the camera, and maneuvers in near total darkness a sheet of positive color photographic paper onto the camera’s back wall.  Throughout each exposure, his instinctive control limits the light entering the lens. He uses his hands to burn and dodge the large-scale images, and develops them in a spinning drum by agitating the chemistry over photographic paper lining the interior of the drum. This process often leaves traces behind on the resulting images.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]PUBLICATIONS & EXHIBITIONS

 

Book Release

CALIFORNIA, Photographs by John Chiara,
Author – Virginia Heckert, Copublished by Aperture and Pier 24 Photography

Press:

John Chiara, and California’s Beauty and Terror, As wildfires raged across California, the photographer’s surreal landscapes put my new home in perspective, GUERNICA Magazine, Haigney. Sophie
Book Review: California by John Chiara – MUSÉE Magazine
Critically Acclaimed: 75 Experts Name the Top Photobooks of 2017
INTERVIEW: California – LensCulture
An Analog View of California – New York Times

Current Exhibitions

A Cure for Everything, Haines Gallery, San Francisco, CA
A Brilliant Spectrum: Recent Gifts of Color Photography, Santa Barbara Museum of Art, Santa Barbara, CA
New Southern Photography, Ogden Museum of Southern Art, New Orleans, LA
Triennale de l’art imprimé contemporain, Musée des beaux-arts, Le Locle, CH
NEW TERRITORY LANDSCAPE PHOTOGRAPHY TODAY, Denver Art Museum, Denver, CO

Selected Recent Exhibitions

2019 – NEW TERRITORY LANDSCAPE PHOTOGRAPHY TODAY, Denver Art Museum, Denver, CO
2018 – Pike Slip to Sugar Hill, solo exhibition, Yossi Milo Gallery, NY, NY
2018 – A Brilliant Spectrum: Recent Gifts of Color Photography, Santa Barbara Museum of Art, Santa Barbara, CA
2018 – New Southern Photography, Ogden Museum of Southern Art, New Orleans, LA
2018 – Triennale de l’art imprimé contemporain, Musée des beaux-arts, Le Locle, CH
2016 – Boundless: A California Invitational, Museum of Photographic Arts, San Diego, CA
2016 – A Matter of Memory, George Eastman Museum, Rochester, NY
2015 – New Photography Acquisitions, Harry Ransom Center, University of Texas at Austin – February 9th – March 18th
2015 – Light, Paper, Process, Reinventing Photography, Curated by Virginia Heckert, Getty Museum, Los Angeles, CA
2014 – A Sense of Place, Pier 24 Photography, San Francisco, CA
2013 – TWISTED SISTERS: Reimaging Urban Portraiture, Museum Bärengasse, Zurich, CH
2013 – Crown Point Press at 50de Young, Fine Arts Museums of San Francisco, San Francisco, CA

Selected Recent Articles

John Chiara’s Uncanny City – New York has rarely looked as grand and otherworldly as it does in these photographs
Author- LUC SANTE , New York Times Magazine
NEW YORK À LA «CAMERA OBSCURA», PAR JOHN CHIARA, by Sami El Kasm Libération Press, Paris, France
CRITICS PICKS: John Chiara at Yossi Milo Gallery, by Ian Bourland, ART FORUM
Big Town, Big Camera, by JOHN LELAND New York Times, April 15th
AN EYE FOR THE BIG APPLE, JOHN CHIARA’S CAPTIVATING VISTAS, by LYLE REXER DAMn Magazine, Issue 57
Art Review, The New Yorker, May Issue
John Chiara’s Sidewalk Studio: A Conversation with Allie HaeussleinAperture.org
The Development of John Chiara by Simon Hodgson, California College of the Arts

Recent Publications

Light, Paper, Process: Reinventing Photography, Exhibition Catalog, Getty Publication[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][vc_column width=”1/3″][vc_single_image image=”4969″ img_size=”full”][vc_empty_space][vc_video link=”https://www.youtube.com/watch?v=f2VxwyK9A3M” title=”Interview de John Chiara – 2016″][vc_empty_space][vc_video link=”https://www.youtube.com/watch?v=h_ErOZcJcm4″ title=”John Chiara at Crown Point – 2016″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/4″][vc_empty_space height=”50px”][vc_empty_space][vc_empty_space][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Site de l’artiste” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” link=”url:https%3A%2F%2Fwww.johnchiara.com%2F”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Site de la galerie” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” link=”url:http%3A%2F%2Fwww.galeriemiranda.com”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height=”50px”][vc_empty_space height=”50px”][vc_column_text]

PREVIOUS EXHIBITION / EXPOSITION PRECEDENTE

Voir commentaires, biographie et liens en bas de page / See comments, biography and links at the bottom of this page

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Le regard du temps – 2 – 12 Juin 2021, 36 rue du Fer-à-Moulin, 75005 Paris
[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]
ELLEN CAREY
Galerie MirandaApproche Art Fair, Paris, 26 – 30 May 2021
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Lors d’un entretien donné en 2018 au magazine en ligne Eye prefer Paris, Carey se souvient : « Lorsque j’étais enfant, je dessinais. Elevée comme catholique, les vitraux rassemblaient lumière et couleurs. Ellen, mon nom, signifie apporteur de lumière en irlandais, gaélique et celtique ; la destinée et le sort m’ont amenée à la photographie ». Cette fascination pour la lumière est essentielle pour comprendre le travail de Carey.[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/6″][/vc_column][vc_column width=”2/3″][vc_empty_space][vc_images_carousel images=”3784,3788,3796,3797,3806,3803,3804,3810,3811,3813,3595,3593″ img_size=”large” speed=”3000″ autoplay=”yes” wrap=”yes” css_animation=”fadeInRightBig”][vc_empty_space][/vc_column][vc_column width=”1/6″][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Née à New York en 1952, Ellen Carey a suivi les cours de la State University of New York at Buffalo dans les années 70. Elle y est proche d’un groupe d’artistes d’avant-garde, qui compte des noms devenus aussi considérables que Robert Longo et Cindy Sherman. De ses premiers travaux, on peut noter son Light Portrait (1976), qui n’est pas sans évoquer Space Writing (1935) de Man Ray, ce photographe fondamental à propos de qui Carey écrira d’ailleurs un essai en 2011. Elle expose dans ces premières années de son œuvre la série des Painted Black & White Self-Portraits (1978) qui combine autoportrait et peinture abstraite, celle-ci modifiant, tel un déguisement, la perception que l’on peut avoir du sujet.

L’autoportrait transforme le photographe en objet de la représentation, fusionnant ainsi le sujet de la photographie et le soi qui le cadre. Il s’agit tout autant d’une fusion du soi physique, tel que donné à voir par la nature et par son histoire, et du soi intérieur. L’objet en vient à contempler, même s’il ne le regarde pas, le sujet, son créateur-fait-objet. La photographie révèle Presque inévitablement quelque chose de plus que l’apparence, comme un excès qui serait une embrasure par laquelle le soi se donne à percevoir, comme si le corps lui-même était le positif d’un négatif resté obscur. Comme le dit Carey dans un entretien tiré du catalogue de l’exposition de 1987 à l’International Center of Photography, “le moi photographique a été créé pour permettre à l’inconscient de se matérialiser par l’empreinte ». Elle appliquera ensuite des “touches picturales” de couleur, des traits de lumière, des signes, à ses autoportraits, permettant d’exprimer soit des états intérieurs, soit une relation particulière à l’environnement. Puis elle se retirera un jour totalement de l’image, pour ne plus laisser que la lumière se manifester comme dans un miroir que l’artiste aurait tendu à son insondable nature.

La carrière d’Ellen Carey prit un tour nouveau du jour où elle fut invitée, en 1983, à participer au programme que la société Polaroid avait fort intelligemment mis sur pied pour permettre aux artistes d’explorer le potentiel de la technique de développement photographique instantané inventé par Edwin Land, notamment en se servant de l’appareil photographique « géant » 20×24, unique en son genre.

Au début des années 80, Carey peut être considérée comme proche du mouvement “Neo-Geo” – le conceptualisme néo-géometrique – qui se trouve quelque part au confluent du minimalisme, de l’Op-art et du Pop-art en ce qu’il prend appui sur l’abstraction géométrique, met l’accent sur la couleur, et véhicule un certain esprit anti-consumériste typique de l’époque, une méfiance à l’égard de toute forme de simulacre au sens où il sera théorisé par Baudrillard dans le Système des objets (1968), L’échange symbolique et la mort (1976), et Simulacres et simulation (1981), une pensée – paraissant aujourd’hui sembler quasi-prophétique – qui circula très tôt aux Etats-Unis. Le sociologue interprétait nombre de phénomènes sociaux en termes de constructions dont la géométrie fournissait une métaphore. Dans Simulacre et simulation, Baudrillard, après avoir noté que « Aujourd’hui, l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept […] Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hyperréel », il écrit que « la simulation part de la négation radicale du signe comme valeur, part du signe comme réversion et mise à mort de toute référence ». Sans rapport avec la réalité, l’image est devenue son propre simulacre pur.

Le moment Neo-Geo était une sorte de transition sur le chemin de l’élimination complète de la figure par Ellen Carey, un moment où “la réalisation que je peignais maintenant avec la lumière déclencha une esthétique plus minimale, qui symbolisait l’intégration. Les références antérieures à la decoration du corps ou au cosmos, par exemple, faisaient maintenant allusion à la machine, à la science et aux mathématiques, en particulier la géométrie ». Dans ces portraits Neo-Geo, le moi semble tout autant rechercher la rationalité et s’y confronter, Janus tout à la fois libérateur et impitoyable tuteur. Après 1986, Carey abandonnera non seulement toute référence à la figure humaine, mais aussi toute contrainte de forme, et elle concentrera sa recherche, comme s’agissant d’une pure entreprise expérimentale, sur les mystères de la lumière et du visible en tant que tel.

Ce rejet de la figure est-il cette mise à mort de toute référence, les images de Carey sont-elles ces purs simulacres dont parle Baudrillard ? En aucune façon. Son travail deviendra un combat avec la lumière, une sorte de phanomachie, pour faire écho à l’épisode du combat de Jacob avec l’Ange, combat qui vise à contraindre la lumière à « dire son nom », à révéler toujours davantage de ses secrets, de ses dimensions demeurées jusqu’alors inconnues. C’est un voyage initiatique parcouru par le moyen des techniques maîtrisées par l’artiste, un voyage qui est métaphore de la quête humaine, de cette espèce qui se caractérise par sa pulsion jamais assouvie de quête.

Dans les années 1980, Carey se pose la question de savoir à quoi une photographie abstraite devrait ressembler ; comme tout scientifique, elle part d’une question. L’expressionisme abstrait américain était l’un des courants majeurs de l’art des années 1940 et 1950, comme le fut aussi le minimalisme dans les années 1960 et 1970, tous deux d’origine principalement américaine même si leur genèse n’est étrangère ni à De Stijl ni à d’autres courants des avant-gardes européennes du début du siècle. Cependant, l’abstraction pure avait encore peu d’exemples dans l’univers de la photographie. Bien sûr, on en trouve des prémices dans l’oeuvre de Man Ray, de Rodchenko ou de Kertész , mais le plus souvent comme éléments ou fragments du réel abstraits de leur contexte, amenuisant ainsi l’évidence ou l’immédiateté de leur lien avec une référence discernable par l’oeil. L’avant-garde tchèque est plus proche de l’abstraction pure, si l’on pense aux photogrammes et aux collages de  Jaroslav Rössler (1902 – 1990) par exemple, qui datent des années 1920. Carey franchit un pas supplémentaire en réinterprétant et en combinant l’héritage de l’abstraction américaine et du minimalisme au moyen de cet outil « traditionnel » qu’est le photogramme, et des possibilités nouvelles du Polaroid.

Selon ses propres mots, elle produit des images « sans « traces de leur propre « fabrication », sans sujet ni représentation, sans punctum ni studium. Sans référence à quoi que ce soit « là-dehors ». C’était uniquement une question de photographie – lumière – cela pouvait seulement être fait photographiquement – processus – c’était une expérience, un négatif réticulé qui faisait une image abstraite ». Elle opère ainsi une percée avec l’invention du Pull en 1996, puis du Rollback l’année suivante, fruits de cette exploration systématique des possibilités formelles offertes par la technologie du Polaroid.

Parallèlement, sous le concept général de Struck by Light, elle travaille sur des photogrammes produits dans une chambre noire sans aucun sujet qui s’interpose entre la source lumineuse et la surface photosensible. Ces photogrammes sont en couleur, et non pas monochromes comme on le voit le plus souvent, et parviennent à révéler une richesse et une vivacité de tons quasi-hypnotique. L’intérêt de Carey pour ce medium a sans doute été aiguisé par sa découverte du travail d’Anna Atkins (1799 – 1871), une botaniste anglaise devenue photographe, et dont le père était ami de l’inventeur du calotype et pionnier de la photographie, le célèbre William Henry Fox Talbot. Celui-ci forma Atkins à ces techniques naissantes, et elle devint ainsi la première femme photographe de l’histoire. Apprenant en outre la technique du cyanotype mise au point par son ami John Herschel, Atkins l’appliqua aux algues, dont elle fit une importante série.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ item=”masonryMedia_Default” grid_id=”vc_gid:1636367479652-b11fe757-f1d4-8″ include=”3607,3614″][vc_column_text]

Multichrome moire Pull (2005)

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_single_image image=”3806″ img_size=”large” add_caption=”yes” alignment=”center”][vc_empty_space][vc_column_text]Avec les Polaroid des Pulls et les photogrammes de Struck by Light, la photographie se trouve libérée du sujet et s’aventure vers son principe ultime qu’est la lumière, comme s’il s’agissait de la métaphore d’une quête presque mystique. Une telle recherche prend presque inévitablement des accents métaphysiques tant la lumière représente dans la plupart des traditions un symbole de l’absolu, de l’origine, de la vérité solaire. La lumière comme ce dont émane, parce qu’elle le rend perceptible, le monde des substances, un monde qu’elle excède, laissant le regardeur comme seule présence – invisible sur l’image – du photogramme, présence désirante face à l’évanescente présence de la lumière dont la manifestation est faite surgissement de couleurs, ses émissaires. Processus voisin de la quête alchimique, rencontre inspirée et presque implorante de l’opérateur et de la matière, ici réduite à une simple feuille, avec pour seul truchement une technique à la fois assez rudimentaire dans son fonctionnement et infiniment subtile dans sa manipulation. Voici que la lumière est explorée dans ses effets en écartant tout ce qui lui est accessoire, y compris l’appareil photographique dans le cas des photogrammes. Le point ultime est peut-être atteint dans l’expériences des Zerograms : ni appareil, ni objet, ni pellicule… à peine une forme en son centre, vague losange qu’on hésite à dire de couleur blanche et qui attire inexorablement le regard. Demeure la couleur comme si elle était saignement de la lumière aux bords de cette forme.

La série appelée Ding & Shadows est constituée de grands photogrammes de couleur; elle tire son nom de l’erreur d’impression (“ding”) que la photographie est accoutumé de bannir, et qui représente une sorte d’atteinte à la sacralité de l’œuvre. Ici le papier photosensible est froissé, de telle sorte qu’il devient une manière de topographie au relief en grande partie aléatoire et modifie ainsi la façon dont la lumière est captée, dont les couleurs s’organisent dans l’espace, et apparaissent selon l’angle de vision du regardeur ou l’éclairage.

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ item=”masonryMedia_Default” grid_id=”vc_gid:1636367479652-2a38259f-5ec0-6″ include=”3804,3803″][vc_column_text]

  Struck by Light (2009)                                                                                       Dings&Shadows (2017)

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ gap=”15″ grid_id=”vc_gid:1636367479652-e2e9e330-4532-5″ include=”3811,3810″][vc_column_text]

Push Pins (2002)

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]Avec Push Pins (2002), Carey perce de petits trous dans le papier photosensible au moyen de punaises, de telle sorte que la lumière se diffuse à partir de ces trous en striant la surface de courtes lignes. Cet effet ne saurait être exactement maîtrisé : il demeure une distance, un jeu, entre l’intention et le rendu qui semble remettre en cause la pureté de l’un comme de l’autre dès l’instant que la lumière entre en contact avec le sensible. Cette imperfection de l’éclairement de la surface, dans le sens de l’imprévisibilité et d’un apparent désordre, est aussi la marque d’une recherche qui ne saurait produire un résultat attendu, tel un processus mécanique quelconque, mais reste dans la suggestion, comme la voix d’une Béatrice sur les chemins de la quête.

Le photogramme est tout à la fois façonné par pliage ou froissement et “peint” par la main de l’artiste, et ce processus tâtonnant où joue toute son invention dans l’acception Renaissance du terme devient, plutôt que l’empreinte d’un objet physique, le sujet même de l’œuvre ; il est expérience au sens plein du terme. Mais aussi rébellion face au pouvoir inévitablement dictatorial de la technê lorsqu’elle est appliquée de manière systématique… Carey affirme elle-même que l’objet photographique, et non pas seulement la pratique de la photographie, se trouve à l’intersection du procédé et de l’invention. Elle ajoute: “Cependant que dans la photographie traditionnelle, le processus comme l’invention sont “transparents”, de simples moyens en vue d’une fin, dans mon travail le processus devient le sujet ». Il faut émettre une réserve à cet égard. Le sujet est sans doute le processus d’exploration de la lumière au moyen de la photographie, il n’est pas celui qui régit la seule production de l’image, simple matériau tant qu’il n’est pas fécondé par l’invention.[/vc_column_text][vc_single_image image=”3621″ img_size=”large” add_caption=”yes” alignment=”center”][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_media_grid element_width=”3″ item=”masonryMedia_Default” grid_id=”vc_gid:1636367479653-cdeae576-671d-7″ include=”3595,3593,3592,3591″][vc_column_text]

Zerograms

[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]Crush & Pull, le dernier ensemble de travaux de l’artiste (2018), apporte une nouveauté qui est aussi une synthèse de toute l’œuvre d’Ellen Carey en combinant la technique du photogramme héritée du 19ème siècle et celle du Polaroid qui appartient au 20ème… Cette étape fait usage de photogrammes froissés qui deviennent – par un procédé non ouvertement divulgué – le négatif d’un Polaroid qui sera traité par la méthode des Pulls.  Carey explique, à l’occasion du salon Paris Photo, que  sa nouvelle série “Crush & Pull” (2018) « combine pour la première fois le Polaroid et Photogramme, couleur et expérience, créant en pratique un Photogramme Polaroid, un nouvel objet photographique pour le 21ème siècle […] Crush & Pull relie mes expériences photographiques  en couleur avec le procédé, le minimalisme et l’abstraction, la lumière et ses variations, souvent avec une exposition zéro, unifiant mes pratiques jumelles des Struck by Light et de Photography Degree Zero pour la première fois. Crush & Pull établit un pont entre des idées issues de mes photogrammes, son histoire, avec des idées issues du Polaroid, de l’histoire de la photographie instantanée et de ceux qui la pratiquent ».

Ceci est probablement rendu possible parce que la dualité négatif – positif est similaire dans les photogrammes et les Polaroid, dans la mesure où ils se confondent l’un avec l’autre jusqu’à l’obtention de l’image finale : dans le photogramme, le sujet est lui-même le négatif, avec un transfert opéré par l’ombre, dans le cas du photogramme, tandis qu’il est décollé du positif après transfert de l’image dans le cas du Polaroid.

Dans le cas des Crush & Pull, le négatif du Polaroid, après exposition dans la chambre noire, est développé avec les capsules du Polaroid. La performance de Carey dans la chambre noire “laisse la lumière libre de créer selon ses propres conditions » ; dans un second temps, le photogramme devient le négatif du Polaroid, faisant ainsi se rencontrer l’ « inventivité » de la lumière, l’intervention physique de l’artiste, et son utilisation expert de la chimie du Polaroid. Le procédé appliqué au photogramme est devenu lui-même matériau d’un autre procédé, d’une invention ajoutée à la précédente, superposant par là même une seconde incertitude effet de la liberté ou “inventivité lumineuse” à la première. En reconnaissant que le procédé est devenu sujet, Carey invite à la métaphore possible d’un âge technique où les effets de transformation que les procédés techniques opèrent sur l’homme et son environnement social peuvent être imaginés, fantasmés, mais non prédits.

Toute tentative de décrire les procédés au moyen desquels Carey construit son univers visuel serait vaine, ou au mieux très approximative : il s’agit avant tout d’une praxis. Elle a utilisé au long des années le Polaroid 20×24 comme un laboratoire où elle parvient à découvrir des nuances, des agencements, des effets de couleur nouveaux, grâce à des manipulations qui demeurent mystérieuses pour le profane : « dans mes Polaroid Pull, j’ai mélangé et désaccordé les pratiques conventionnelles avec une liberté d’expérimentateur. Ce qui s’est développé est un menu de techniques et de méthodes qui ont fait apparaître des couleurs et des combinaisons de couleurs qui n’avaient jamais été vues […] Le croisement des procédés est un autre moyen qui me permet de peindre avec la lumière en utilisant les capsules de Polaroid comme des tubes de peinture, ma palette enrichie plonge plus profondément dans le filon de la couleur».

On peut ajouter à ces considérations que la forme elle-même est abandonnée au profit de la couleur : la forme, qui est en fin de compte dessin et donc ligne, séparation d’avec l’ensemble, représenterait une manière de distraction, peut-être même une contradiction. Elle pourrait prévenir la découverte du « filon » de précieux métal. Carey conçoit la photographie comme un outil d’exploration des limites de la perception visuelle, et par analogie de la perception en général, plutôt que d’une simple exploration des formes et de leurs métamorphoses. Comme dans les diverses pratiques alchimiques, le filon n’est jamais tout-à-fait atteint, mais l’or consiste dans l’attrait qu’il ne cesse d’exercer et qui incite à poursuivre le cheminement.

Le Polaroid 20×24 mérite quelques mots. Il s’agit d’un grand appareil à soufflet, au format de 20×24 pouces (51x61cm), monté sur un pied qui donne à l’ensemble une hauteur totale d’environ deux mètres. Le premier de ces appareils a été construit en 1976; en sus du prototype, seuls cinq de ces appareils ont été assemblés. Un premier appareil “hybride” a été assemblé par Tracy Storer en 1997 à partir des pièces d’un prototype. Le 20×24 requiert une expertise technique importante pour être mis en condition de fonctionner convenablement ; il est en quelque sorte nécessaire de l’apprivoiser. Lorsque John Reuter, un cadre de la société Polaroid, comprit que celle-ci allait cesser son activité, il acheta un exemplaire du Polaroid 20×24, environ 500 caisses de pellicule « brute », ainsi qu’une importante provision des 17 produits chimiques nécessaires à la confection de la pellicule prête à l’usage. Ceci lui permit de créer le Studio 20×24 et de permettre à des artistes, dont Ellen Carey, de continuer leur travail créatif à l’aide de cet extraordinaire instrument. Cette entreprise demeure très vulnérable : lorsqu’un problème de stabilité d’un produit chimique fut découvert en 2016, le Studio fut près de fermer ses portes. Il n’est maintenu en vie que par une petite communauté de passionnés. Il semblerait qu’aujourd’hui, seuls deux appareils sont encore en état de fonctionner, l’un à New York et l’autre à Berlin. L’épuisement du stock de pellicule « brute » et le tarissement potentiel des sources de produits nécessaires à la confection de la pellicule signifient que la fin du Polaroid 20×24 est proche. Ellen Carey pourrait bien être le dernier grand interprète de cet instrument, qui a été utilisé par des artistes aussi considérables que Andy Warhol, Robert Rauschenberg, Chuck Close, et la portraitiste Elsa Dorfman, pour n’en citer qu’un petit nombre. La plupart ont utilisé ce format pour le portrait. Carey a exploré ses possibilités avec constance et ténacité, plus que tout autre.[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_media_grid element_width=”6″ gap=”25″ grid_id=”vc_gid:1636367479653-bdfe32eb-ac23-3″ include=”3815,3636″][vc_column_text]

Polaroid 20×24

[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”3/4″][vc_column_text]BIOGRAPHIE

Ellen Carey est une artiste photographe américaine née en 1952 à New York. Elle a étudié à la Art Students League de New York, au Kensas City Art Institute, puis à la State University of New York at Buffalo, réputée pour son accent sur la recherche. Elle fait partie des milieux de l’avant-garde de Buffalo, qui compte des artistes de la dimension de Cindy Sherman et Robert Longo et donne naissance au Centre for Exploratory and Perceptual Art (CEPA) dont le nom marque bien la préoccupation centrale, la volonté d’engendrer de nouvelles perceptions visuelles par le moyen des techniques disponibles. Elle y expose notamment ses auto-portraits (Painted Black & White Self-Portrait series, 1978). Ellen Carey déménage ensuite à New York, où elle sera bientôt l’un des premiers artistes invités par le programme de la société Polaroid visant à explorer le potentiel artistique de cette nouvelle technique qu’est la photographie instantanée, une technique qui jouera un rôle important dans ses autoportraits « Neo-Geo » psychédéliques des années 1980, puis dans l’ensemble de son travail mené avec l’appareil « géant » 20×24 Polaroid, dont elle fera un véritable outil de recherche visuelle. L’artiste se concentre alors sur l’abstraction, avec des références à l’expressionisme abstrait, au minimalisme et à l’art conceptuel. Son activité photographique abandonne toute référence à l’objet, et explore de manière quasiment parallèle les possibilités offertes par une approche renouvelée de la technique du photogramme, avec l’ensemble de travaux regroupés sous le titre Struck by Light, et celles que permet le Polaroid avec les travaux regroupés sous le titre Photographie année zéro. Une fusion des deux techniques sera enfin opérée avec la série Crush & Pull. L’artiste réalisera également des installations monumentales telles que le puissant Mourning Wall (« Mur de deuil ») en 2000, avec ses 100 négatifs de grande taille. Par ailleurs, Ellen Carey mène une activité d’enseignement, d’historienne de l’art et de commissariat d’expositions. Ses œuvres figurent dans les collections de nombreux musées de premier plan, dont le Metropolitan Museum of Art, le Whitney Museum of American Art, et le Centre Pompidou.[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_empty_space height=”60px”][vc_single_image image=”3632″ img_size=”full”][vc_empty_space][vc_video link=”https://www.youtube.com/watch?v=DpsujBOv8Gs”%5D%5Bvc_empty_space%5D%5B/vc_column%5D%5B/vc_row%5D%5Bvc_row%5D%5Bvc_column%5D%5Bvc_column_text%5DLIENS[/vc_column_text][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”CV” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” add_icon=”true” link=”url:https%3A%2F%2Fvisual-worlds.org%2Fwp-content%2Fuploads%2F2021%2F05%2FELLEN-CAREY-CV-March-2019.pdf”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Artiste” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” add_icon=”true” link=”url:http%3A%2F%2Fwww.ellencareyphotography.com%2F”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Galerie” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” add_icon=”true” link=”url:https%3A%2F%2Fwww.galeriemiranda.com”][/vc_column][vc_column width=”1/4″][vc_btn title=”Autre source” shape=”square” color=”sky” align=”center” button_block=”true” add_icon=”true” link=”url:http%3A%2F%2Fapproche.paris”][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height=”48px”][vc_column_text]

PAST EXHIBITIONS

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