Toutânkhamon : une visite du mythe osirien

Grande halle de la Villette, Paris, 2019

L’exposition Toutânkhamon qui vient de se tenir à Paris, cinquante ans après l’exposition-événement de 1967, ne saurait manquer d’émouvoir quiconque est sensible à l’aventure humaine, car peu d’occasions nous sont données par l’archéologie d’exhumer ainsi, presque intacts, des fragments de la vie de l’esprit comme de la vie matérielle datant de plus de trente siècles.

Il n’est certes pas question de faire ici œuvre d’égyptologue, lorsque tant d’excellents ouvrages couvrent la période du Nouvel Empire, mais plutôt de se ressouvenir des grands récits qui structurent la pensée de ce temps et d’évoquer la réaction des formes aux changements idéologiques.

Amon

Toutânkhamon est l’anté-pénultième Pharaon de la XVIIIème dynastie, dont la destinée toute entière semble ramassée dans ses funérailles : il fut plus grand par la découverte que fit Carter de son tombeau que par les rares œuvres de sa courte vie. Lorsqu’il succède à Smenkhkarê, qui ne régna probablement que deux ans après le décès d’Akhenaton, Toutânkhamon – qui était presque certainement son fils, mais non celui de la reine Nefertiti – est âgé d’à peine neuf ans ; il épouse bientôt la princesse Ankhesenpaaton. Sous l’influence des prêtres, et sans doute du grand-prêtre Ay qui lui succèdera sur le trône, le jeune Pharaon laisse alors s’opérer un retour à l’orthodoxie amonienne : il prend donc un édit de restauration des cultes, qui est affiché dans le temple d’Amon-Rê à Karnak, et change son propre nom de Toutânkhaton – « image vivante d’Aton » – en celui de Toutânkhamon. L’exposition s’ouvre ainsi très logiquement par la grande statue d’Amon protecteur de Toutânkhamon, découverte par Mariette en 1857 à Karnak, et qui se trouve au Louvre. Amon porte la barbe divine ainsi que sa coiffe à mortier surmontée de deux hautes plumes. Dieu de Thèbes dont le culte se développe au Moyen Empire jusqu’à ce qu’il revienne le roi des dieux, Amon est « le Caché » : on ne saurait le représenter, si ce n’est indirectement sous les traits du pharaon coiffé de sa couronne caractéristique, ou sous la forme d’un bélier symbolisant la force créatrice, ou parfois de l’oie ayant pondu l’œuf cosmique. Il sera assimilé à Rê, le dieu solaire d’Héliopolis pendant la XVIIIème dynastie, devenant Amon-Rê, celui qui permit aux Egyptiens de chasser les Hyksôs et de refonder l’empire. Par incise, on notera que le « Amen » chrétien provient sans doute de l’évocation d’  « Amon » ou « Imen », qui se sera transmis à la Palestine depuis les temps de la domination égyptienne.

Toutânkhamon quitte sa résidence d’Akhetaton (L’ « horizon d’Aton »), la ville fondée par Akhenaton (la moderne Tell-el Amarna), pour Memphis : bientôt le site d’Akhetaton s’effacera devant le désert pour n’être retrouvé qu’à la fin du 19ème siècle. Toutânkhamon se fait aménager une tombe non loin de celle d’Amenothep III.

Peut-être victime d’hémorragie (on a retrouvé une blessure dans son oreille gauche), il meurt à l’âge de dix-neuf ans, sans laisser d’enfant vivant; la lignée d’Ahmosis, par qui s’était ouvert le Nouvel Empire vers 1560, s’éteint. Sa veuve Ankhesenpaaton, devenue Ankhesenamon, obtient du roi hittite Suppiluliuma qu’il lui envoie l’un de ses fils, le prince Zannanzach, pour l’épouser et unir ainsi les trônes de ces deux empires : il n’arrivera jamais. Le vizir de Toutânkhamon, Ay, régnera quelques années (probablement entre 1323 et 1319) ; puis le commandant en chef de l’armée, Horemheb, montera sur le trône et saura restaurer l’ordre. La dynastie des Ramsès lui succèdera. Voici pour les faits, ou ce que l’on en croit savoir.

Le mythe de la royauté mérite quelques développements, car il est au fondement du pouvoir des pharaons et de la représentation de ce pouvoir, représentation sans laquelle ce pouvoir ne saurait opérer de la même manière.

Les prêtres d’Héliopolis mettent en forme le mythe de la création aux alentours de 3000 avant J.-C. ; il nous est connu notamment par les inscriptions de la pyramide d’Ounas, dernier roi de la Vème dynastie, vers 2350 av. J.-C. Ces Textes des Pyramides seront ensuite réutilisés, notamment par les Textes de Sarcophages, et le corpus ne cessera d’évoluer. On peut néanmoins se référer aux principaux mythèmes qui connaissent une certaine permanence au travers des âges.

Geb, dieu de la terre, et Nut, déesse du ciel, engendrent quatre enfants : Osiris, Isis, Seth et Nephthys. Osiris, l’aîné, gouverne la terre d’Egypte auprès d’Isis, sa sœur et divine épouse ; il est décrit sur la stèle d’Amenmès, datant des débuts de la XVIIIème dynastie, comme apportant l’abondance ; maître des éléments, il commande les eaux et les vents. Mais voilà que Seth, qui apparaît tantôt sous l’aspect d’un quadrupède et tantôt avec une sorte de trompe et deux cornes sur un corps d’homme, Seth dont le désordre et le chaos sont la marque, tue son frère Osiris afin d’usurper son pouvoir, puis le jette à l’eau où il dérive avent de s’échouer sur la berge de Nédit. On notera que la mise à l’eau entretient un lien étroit avec la renaissance : Le Calendrier des Jours Fastes et Néfastes nous rapporte que les dieux avalés par Rê sont ensuite « recrachés » par lui dans l’eau où ils deviennent poissons, tandis que leur ba – ou énergie de transformation de l’être – devient oiseau, pour ensuite renaître comme étoile. L’eau, le lac que symbolise aussi le cartouche, est régénératrice dans le sens où elle est lieu de passage avant de renaître à la vie nouvelle. Il va de soi que la symbolique du baptême chrétien hérite indirectement de cette conception, ou la redécouvre.

Seth prend sa propre sœur Nephthys pour épouse. Isis, dans sa douleur, ne cesse de rechercher la dépouille d’Osiris afin de le faire ressusciter, et de concevoir un fils capable de venger son père.  Selon certaines versions, Seth a découpé son frère en quatorze morceaux, et les a dispersés de par toute l’Egypte. Isis, aidée par Thot et Nephthys, retrouve ces morceaux à la seule exception du pénis. Selon d’autres sources, elle découvre à Abydos le corps d’Osiris. Elle le couvre alors de ses ailes, lui insuffle le souffle de vie grâce à ses pouvoirs magiques, et – prenant la forme d’un épervier – reçoit sa semence. Osiris descendra ensuite dans la Douât, lieu de l’au-delà, et règnera sur l’autre monde pour l’éternité. Le pilier Djed, considéré comme un Osiris acéphale à partir du Nouvel Empire, symbolise la victoire ultime d’Osiris sur Seth ; l’acéphalie est signe de la période d’invisibilité astrale qui précède la nouvelle naissance, et en particulier de la période d’embaumement, puisque l’enfant naît (renaît à la vie éternelle) par la tête. La question de l’incomplétude est particulièrement intéressante, en ceci que le corps incomplet ne saurait renaître à la vie nouvelle. D’où le soin pris à rassembler et préserver toutes les parties du corps lors des rites funéraires.

Un texte nous fait part de l’étrange aventure qui suit : Osiris – mort ou agonisant – quitte Héliopolis en barque ; soudain l’« ennemi » Maga surgit des eaux et emporte son épaule gauche. Osiris en appelle au tribunal d’Héliopolis et s’adresse au Maître Universel en ces termes : « Après que tu as fait en sorte que je puisse me rendre à l’officine d’embaumement…Maga a surgi, il s’est emparé de mon épaule…permets que je lui fasse procès et le tue ». Le manque de l’épaule interrompt le voyage nocturne qui mène le mort sur l’autre rive, une fois achevé l’embaumement. Or le rituel d’embaumement commence par l’épaule et se termine aux pieds. L’épaule gauche correspondrait au dernier croissant de lune observable à l’est, avant sa disparition qui précède la nouvelle lune. On sait que le processus de momification est une période d’invisibilité entre mort et renaissance. Sans son épaule, Osiris ne peut donc être momifié ni renaître dans l’au-delà, il ne peut assurer que la lune reparaisse, cette lune dont Thot régit les cycles en sa qualité de maître du temps. Comme le propose Dimitri Meeks, « Thot et Osiris se complètent : en se recomposant dans l’au-delà, Osiris œuvre à la recomposition de l’œil lunaire pour qu’il atteigne sa plénitude ». Symétriquement, la guérison de l’épaule de Thot mentionnée par une Ramsès IV sur une stèle en l’honneur d’Osiris, permet à l’astre de se recomposer. La complétude peut donc être lue comme la condition de la bonne marche du cosmos, et en particulier de la divinisation des défunts au royaume d’Osiris.

Lors des rites funéraires, les différents organes retirés du corps afin d’assurer la préservation de la momie sont enfermé dans quatre vases canopes dotés de couvercles à l’effigie des fils d’Horus et contenant respectivement le foie (couvercle en forme de tête humaine représentant Amset, sous la protection d’Isis), les poumons (couvercle en forme de tête de babouin représentant Hapi, sous la protection de Nephthys), l’estomac (couvercle en forme de tête de chacal représentant Douamoutef, sous la protection de Neith), et l’intestin (couvercle en forme de tête de faucon représentant Qebehsenouf, sous la protection de Selkis). L’intégrité du corps était la condition pour espérer accéder à la deuxième vie, à la vie éternelle.

Osiris, mentionné dès les Textes de Pyramides, est une divinité tout-à-fait singulière dans le sens où elle est morte, brièvement ressuscitée, pour devenir immortel dans l’au-delà, et régner sur le royaume des morts où sont accueillis ceux qui auront vécu en conformité avec le juste et le bien que représente et défend la déesse Maât. On le vénéra pendant des siècles auprès du tombeau de Djer, troisième pharaon de la 1ère dynastie, considéré comme le tombeau d’Osiris. La relation d’Osiris avec les cycles agricoles est bien établie : c’est d’ailleurs sur le corps même du dieu que pousse l’orge, céréale de base de l’ancienne Egypte. Une figure osirienne en terre, parsemée de graines germées, a ainsi été retrouvée dans la tombe de Toutânkhamon.

Coupe en forme de lotus, symbole de renaissance et d’immortalite

Horus (Harpocrate pour les Grecs), le dieu à tête de faucon conçu par Isis et Osiris en ce moment d’étrange résurrection, naît à Chemmis, dans le delta, et grandit sous la protection d’Isis. Horus, souhaitant venger Osiris et recouvrer le trône dont il s’estime le légitime héritier, portera sa requête auprès d’un tribunal des dieux présidé par Rê, le dieu du soleil. Après de nombreuses péripéties, le tribunal finit par donner raison à Horus, malgré la faveur dont Seth jouit auprès de Rê. Cependant Seth ne reconnaît pas ce jugement, et une lutte s’ensuit qui aurait duré quatre-vingts ans ; parmi les principaux moments symboliques de cette lutte, on doit compter celui où Seth arrache l’œil gauche de son adversaire, qui symbolise la lune mais aussi la prospérité et l’unité de la terre d’Egypte, c’est-à-dire l’une des fonctions essentielles de tout pharaon, tandis qu’Horus arrache une jambe et les testicules de Seth. Selon d’autres versions, Seth lui arrache les deux yeux et les enterre dans le désert où ils renaissent sous forme de fleurs de lotus. La prospérité, l’équilibre du monde supposent qu’Horus recouvre son intégrité physique, ce qui adviendra grâce à la déesse magicienne Hathor. Appelé Oudjat, l’œil d’Horus symbolise la guérison, la victoire de l’ordre légitime sur le chaos. Ici comme dans le récit osirien, le manque d’un organe est source et signe d’un trouble de l’ordre cosmique et social, l’un ne sachant être séparé de l’autre.

Pareillement, la perte de ses testicules ôte à Seth son pouvoir sexuel, symbole de violence et d’excès que l’on serait tenté de qualifier de dionysiaques. Or, comme le remarque finement Dimitri Meeks dans son excellent ouvrage Les Egyptiens et leurs mythes, cette démesure, ces outrances, « défis permanents aux équilibres qui régissent le monde offrent finalement, par effet contraire, un point d’appui aux forces qui luttent pour les maintenir ». Sans Seth, point d’Horus.

Selon le récit du papyrus Chester-Beatty I, Seth, qui a pris l’apparence d’un hippopotame, est tué par Horus à Edfou de dix coups de harpon. L’hippopotame est ensuite dépecé et les morceaux distribués aux dieux, qui les mangent.  On sait que l’hippopotame mâle est considéré comme un animal associé aux forces de destruction, au marécage primordial – le Noun – à partir duquel tout fut créé. C’est un hippopotame, animal violent, qui tua Ménès, premier roi d’Egypte, et bâtisseur de la ville de Memphis. On se souvient que Toutânkhamon se livre à une chasse rituelle à l’hippopotame au harpon, en digne imitateur d’Horus.

En Egypte tout pharaon est en effet un Horus incarné ; dès les premières dynasties, le nom du roi est précédé du nom d’Horus. Le règne de Maât, la fille de Rê, précède celui d’Horus qui clôt la lignée des pharaons divins. Horus devenu modèle de toute souveraineté, est en charge de mettre en œuvre Maât, et tout pharaon hérite de cette impérieuse obligation.  

Il est tentant de rechercher un analogon à ce mythème du manque. Ainsi, dans Le Totémisme aujourd’hui (1962), Lévi-Strauss analyse un mythe tikopia de Polynésie ainsi qu’un mythe ojibwa de la région des Grands Lacs, pour y reconnaître une expression, une image, de la manière dont la pensée humaine « fabrique » du discontinu à partir du continu qu’est le réel. Dans le mythe tikopia, un dieu étranger, Tikarau, rend visite aux dieux Tikopia qui lui préparent un festin ; par ruse, Tikarau dérobe la nourriture. Les dieux se lancent à sa poursuite et récupèrent quatre aliments, ainsi sauvés pour les hommes. Le mythe ojibwa, quant à lui, explique que les cinq clans primitifs descendent de six êtres surnaturels issus de l’océan pour se mêler aux hommes ; l’un d’entre eux avait les yeux bandés car son regard était trop puissant pour les hommes. Succombant à la tentation, il soulève son bandeau et tue ainsi l’homme qu’il regarde. Ses compagnons lui enjoignent de retourner à l’océan ; les cinq autres demeurent parmi les Indiens et sont à l’origine des cinq clans ou totems. C’est donc à chaque fois en ôtant un élément à la totalité originaire – Tikarau, l’être au regard tueur – que l’harmonie peut exister. La lecture topologique faite par Lévi-Strauss, et complétée d’ailleurs dans Le Cru et le Cuit, est vertement critiquée par René Girard qui reproche à Lévi-Strauss de ne pas apercevoir la représentation du lynchage qui se cache derrière le modèle topologique, par où une menace ressentie par la collectivité à l’occasion d’une crise sociale justifie l’élimination de celui qui est accusé d’avoir le « mauvais œil », et se prémunit ainsi d’une contagion de la violence.

Aucune de ces lectures ne paraît totalement satisfaisante. On observera que, dans ces deux cas, le dieu avide ou simplement curieux, à la manière de Pandore, est effectivement renvoyé, mais pour avoir troublé un ordre préexistant en lui ôtant quelque chose qui est la possibilité même de vivre, que symbolisent l’homme foudroyé du regard, ou les aliments du festin. Mais au lieu que, par une intervention divine ou magique, ce manque soit guéri ou compensé, la société humaine que nous décrit le mythe Ojibwa ou Tikopia semble être un reste, détaché de la totalité – c’est-à-dire de la présence même de la plénitude « divine ». Peut-être en raison du fait que l’homme ne saurait exister ou subsister en présence de la totalité, car la présence de ces forces le détruirait.    

Si l’on tente d’appliquer cette topologie lévi-straussienne au mythe d’Osiris, on observe que celui-ci est bien écarté du monde des hommes et des dieux par le geste de Seth, et reclus dans sa souveraineté sur le royaume des morts, alors même que son règne avait été celui de l’abondance. Si Horus l’a bien vengé, et en quelque sorte remplacé dans sa royauté terrestre, puis dans celle de tous les pharaons, Osiris demeure l’Absent auprès de qui les mortels aspirent à revivre (ou vivre véritablement). C’est en retranchant Osiris du monde que le monde acquiert, en quelque sorte, une voie de salut. Néanmoins l’explication que donne Lévi-Strauss de ce schéma ne semble pas pertinente : on voit mal comment le mythe osirien pourrait fonctionner comme métaphore du passage du réel à la pensée symbolique. L’explication girardienne présente une plus grande plausibilité, si ce n’est que la crise mimétique dont la mort d’Osiris serait la résolution est difficilement discernable dans le mythe, sauf à considérer qu’elle est masquée par la rivalité interne à la fratrie des enfants de Geb.

Si l’on voulait tenter d’aller dans le même sens que Lévi-Strauss, mais un peu au-delà, dans une perspective métaphysique à laquelle prudemment il se refuse, on pourrait considérer que ce manque est non pas ce qui est ôté au réel afin de pouvoir le conceptualiser, le jeu en quelque sorte qui existe inévitablement entre le réel et sa représentation, et qui est une forme d’impuissance du logos, mais l’image de l’impossibilité d’appréhender le Tout depuis une partie de celui-ci, depuis son intérieur si l’on veut. Cela qui demeure inévitablement hors du champ de la raison, du logos, des sens, cette ratio ultima est la partie manquante, ou absente. Elle ne peut être réunie au réel en ce monde, car si elle l’était, ce monde ne serait plus. Il faut se résigner à ce manque qui est la part des dieux, la part d’Osiris. Ce manque-là entretient-il un rapport avec l’organe manquant puis retrouvé, l’épaule de Thot ou celle d’Osiris, l’œil d’Horus, les testicules de Seth ? C’est bien sur le versant invisible du monde qu’opèrent les guérisons, entre l’ancienne et la nouvelle lune, hors du temps.   

L’Egypte du Nouvel Empire est une Egypte conquérante, et donc inévitablement ouverte sur l’extérieur. Cette ouverture se traduit par des apports de toute nature, mais aussi par un afflux de richesses et un développement parallèle du goût d’un certain luxe. Les ateliers des artisans s’en trouvent stimulés. On passe progressivement de l’élégante simplicité des règnes d’Hatchepsout et du grand conquérant Thoutmosis III (1490 – 1436) à un plus grand raffinement des parures, une plus grande complexité des compositions, un goût du détail et des couleurs chaudes sous Thoutmosis IV (1412 – 1402) qui culmineront sous Aménophis III (1402 – 1364) et son épouse Tiy. Pendant le règne de son fils Akhénaton, promoteur de l’hérésie religieuse qui lui vaudra une damnatio memoriae, un style quasi-naturaliste se déploie. Cette parenthèse une fois refermée, on note un retour progressif au classicisme. Néanmoins, les artistes d’Amarna suivent Toutânkhamon à Memphis où il réside désormais, et contribuent à la décoration des tombes de dignitaires, tels que la tombe d’Amoneminet aux figures si délicates, et sans doute du somptueux tombeau de Horemreb. Tout reste de maniérisme amarnien sera purgé sous Séthi Ier, le deuxième des raméssides. Nous avons donc sous Toutânkhamon un exemple de style de transition vers un classicisme renouvelé.

Il ne reste rien des temples d’Aton, qui furent tous démolis ; cependant la réutilisation de certains blocs ou talatates dans d’autres édifices nous a conservé le témoignage d’un art nouveau, où l’image de puissance du souverain cède la place à une expressivité exacerbée, où le prophète du dieu soleil remplace le maître impassible, où apparaissent dans la représentation des cultes le monde animal et des scènes de la vie quotidienne, sans doute tirés de motifs déjà présents dans les tombes privées de Thèbes. La nature devient célébration des merveilles de la création divine. Les décors de plantes aquatiques et d’oiseaux, la finesse du trait, se retrouvent dans le registre inférieur de l’admirable naos en or de la tombe de Toutânkhamon. La mise en scène de l’intimité du couple royal, si fréquente à l’époque amarnienne, se substitue en quelque sorte à la représentation traditionnelle des familles divines et laisse ainsi apparaître l’amour du roi pour sa famille comme un réactualisation de l’amour du soleil pour sa création ; malgré l’effacement de cette idéologie sous le règne de Toutânkhamon, cette image trouve un prolongement visuel sur une autre face du naos, où la reine apparaît assise aux pieds du souverain dans une pose langoureuse, son coude nonchalamment appuyé sur l’auguste genou.

On notera le drapé quasi-érotique du vêtement de la reine, qui laisse apparaître son nombril, ainsi que son sein droit, et l’on rapportera cette image à la statuette acéphale de la reine Nefertiti conservée au Louvre. Il s’agit là d’une innovation de la statuaire du règne d’Akhénaton, qui en vient à suggérer les formes du corps par le plissé des vêtements. Le même plissé s’observe sur le corps de la déesse Selkit qui protège le coffre des vases canopes de la tombe de Toutânkhamon.

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