Musée Guimet – Février 2019
Empêché de rejoindre le Trocadéro par un énième déploiement de « gilets jaunes », je leur dois la grâce aussi fortuite que paradoxale d’avoir été mis face à trois merveilles de la sculpture du Japon médiéval présentées au musée Guimet.
On y voit une image du Jizō Bosatsu, daté de la fin du IXème siècle, ainsi que deux Kongō Rikishi, ou guerriers protecteurs du monde bouddhique, datés du XIIIème siècle, et désignés comme Trésor national du Japon. Les trois œuvres proviennent du temple Kōfuku-ji fondé au début du VIIIème siècle lors du transfert de la capitale dans l’actuelle Nara ; ce temple a été détruit par le feu au XIème siècle puis à nouveau été au XVIIIème siècle. Il est actuellement en cours de reconstruction. Quelques sculptures ont survécu à ces désastres successifs, telles que le Jizō Bosatsu, d’autres ont été restaurées, ce qui est le cas des Kongō Rikishi.
Le Jizō est un Bodhisattva, c’est-à-dire une personne engagée sur le chemin de l’illumination. Considéré comme un sauveur apparaissant devant les gens qui errent et qui souffrent, le Jizō fut introduit en Chine, où il prit l’apparence d’un moine parcourant le pays souvent muni du traditionnel bâton de marche et de combat Shakujō, puis au Japon pendant l’époque de Nara ; il est souvent représenté avec un Hōju, ou joyau de réalisation des vœux. Les statues datant de l’époque de Heian (794 – 1185) sont sculptées dans un seul bloc de bois. L’expression de son visage, sévère à l’origine, s’est ensuite adoucie, comme dans l’exemple présenté où le Jizō prend une posture de type Vitarka Mudra, où l’index forme un cercle avec le pouce, ce qui symbolise la phase d’enseignement de la vie du Bouddha.
Mais c’est du prodigieux hyper-naturalisme – ou peut-être devrait-on oser l’expression de « naturalisme fantastique » – des Kongō Rikishi, donnant au fantastique un aspect naturaliste qui semble le convoquer dans le réel, que vient l’impression la plus forte. Egalement appelés Vajrapāni, ou dieux brandissant le Vajra – cette arme rituelle symbolisant le diamant indestructible et l’éclair irrésistible – les Rikishi ou Niō montent la garde à l’entrée des temples pour éloigner les esprits mauvais. L’un, Agyō, est représenté la bouche ouverte et l’autre, Ungyō, la bouche fermée, symbolisant respectivement le début et la fin, la naissance et la mort, l’alpha et l’oméga, de par le son « ah », première lettre de l’alphabet hiragana comme de l’alphabet sanskrit, et « n » prononcé un, sa dernière lettre.
Les plus fameux sans doute sont ceux sculptés sous la direction probable des sculpteurs Kōkei et Unkei pour l’entrée du temple Tōdai-ji, l’un des sept grands temples de Nara avec celui de Kōfuku-ji.
Ces statues sont exécutées en deux blocs de bois de cyprès du Japon superposés qui se joignent au niveau du ventre, afin d’obtenir cette torsion des corps qui leur confère une force, une dynamique si propre à exprimer leur rôle de défenseurs du temple. La technique est dite du Yosegi zukuri. Le bois est recouvert de tissu de chanvre sur lequel de l’argile blanche est ensuite appliquée pour être peinte. La jupe est ainsi décorée de motifs floraux, de nuages, de phénix, de dragons. On ne peut dire avec certitude qui fut l’auteur des deux Rikishi, si ce n’est que Unkei fut le sculpteur chargé de la restauration du sanctuaire de l’Ouest, où ces statues se trouvaient à l’origine, et qui fut détruit pendant la bataille de 1180.
On s’accorde à penser que les Kongō Rikishi trouvent leur origine formelle dans l’art du Gandara, où une partie de l’iconographie du bouddhisme a été élaborée ; art fait de syncrétisme entre de nombreuses traditions, y compris et notamment hellénistique. La figure d’Hercule pourrait avoir influencé ces images de Vajrapāni.
Les muscles et les veines saillants, la tension du cou, la posture d’un corps disposé au combat, le front crispé et l’air agressif, tout concourt à donner un air terrible. Mais la théâtralité même de ce terrible fait sortir ces figures du domaine de la nature malgré leur réalisme anatomique, pour nous transporter dans le domaine des principes, des archétypes, et par là même d’une puissance cosmique, invincible, efficace. C’est en franchissant subtilement la frontière du naturalisme sans entrer tout-à-fait sur le territoire du fantastique que cet art nous rend présente ici-bas la dimension surnaturelle. Nous sommes à mille lieues de l’iconographie des monstres qui signalent l’absence ou la rupture de l’harmonie humaine ou universelle.
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